Il y a eu deux fusillades dans des parlements au pays, et il a vécu les deux, aux premières loges.

Le sénateur Jean-Claude Rivest, enfermé hier dans son bureau devant le parlement fédéral, se souvenait avec acuité du 8 mai 1984, quand le caporal Denis Lortie a pénétré à l'hôtel du Parlement, lourdement armé.

Alors député libéral de Jean-Talon, M. Rivest devait présider la réunion de la Commission des institutions, qui devait siéger au Salon bleu de l'Assemblée nationale. S'il n'avait pas été retenu par une conversation avec le ministre des Finances de l'époque, Jacques Parizeau, le sénateur et l'ex-premier ministre auraient eu un rendez-vous funeste avec le tireur fou. Trois employés de l'Assemblée nationale avaient été tués et treize autres avaient subi des blessures à cause du forcené, un militaire de la région d'Ottawa qui voulait détruire le gouvernement de René Lévesque. Issu lui aussi de l'armée canadienne, le sergent d'armes de l'Assemblée, René Jalbert, aujourd'hui décédé, était parvenu à apaiser le caporal Lortie.

«Je me sentais un peu croche en voyant ça. C'était la même panique, tout le monde qui court de tous bords, tous côtés», a soutenu M. Rivest, qui fumait dehors, près du parlement, quelques minutes avant les premiers coups de feu. Enfermé dans son bureau de l'Édifice Victoria, juste en face de l'Édifice du centre - «on n'a même pas le droit d'ouvrir les rideaux» -, le sénateur avait tout son temps pour se rappeler les événements de 1984.

Au-dessus de son petit-déjeuner, «Parizeau était à développer une thèse sur je ne sais plus quoi; je regardais ma montre, mais c'était difficile d'y couper court. À la sortie du restaurant Le Parlementaire, Lortie est passé à six pieds de moi. J'étais pour lui un inconnu, mais si M. Parizeau était sorti en même temps que moi, vous imaginez ce qui serait arrivé!», a relaté le sénateur.

Sécurité déficiente

Selon M. Rivest, la sécurité à l'Assemblée nationale a été sérieusement renforcée depuis 1984; elle serait même plus étanche qu'à Ottawa, où les mesures de protection laissent perplexe. Bien sûr, on ne peut plus circuler en voiture aux abords du parlement, mais il y a quelques années, des militants de Greenpeace étaient tout de même parvenus à grimper sur le toit de l'édifice pour y faire flotter une banderole, observe-t-il. Cette opération aurait dû être détectée facilement par les policiers, suggère-t-il.

Autre faille évidente: alors que la GRC patrouille généreusement sur la colline du Parlement, aucun contrôle n'est prévu pour accéder aux navettes destinées aux députés et aux sénateurs qui circulent entre les divers édifices de la colline. «N'importe qui peut embarquer là-dedans, les fonctionnaires s'en servent aussi. Ça vous amène directement devant le parlement, à la porte centrale, où les gardes de sécurité ne sont pas armés», observe le sénateur. «Il y a une sécurité, mais on peut dire qu'elle a des lacunes», résume-t-il.

Les images de fusillades qui ont roulé en boucle à la télé hier ont soulevé des émotions chez bien des témoins de la fusillade de l'Assemblée nationale. Sollicité par La Presse en 1994, Gaétan Gingras avait refusé de commenter les événements, encore trop impliqué émotivement, même 10 ans après la fusillade. Aujourd'hui, il en parle ouvertement, mais encore avec émotion. «Ce que j'ai vu aujourd'hui me fait revivre des choses. En mai dernier [au 30e anniversaire], j'avais décidé d'en parler pour mettre ça derrière moi», a dit ce cadre du Bureau du directeur général des élections. Il est finalement venu cet automne au parlement, pour le dévoilement d'une plaque visant à rappeler l'événement.

Le député péquiste François Gendron était à l'Assemblée nationale. Les événements d'aujourd'hui font surgir des heures douloureuses. « C'est une attaque à la démocratie. Où ça va s'arrêter ? Le geste qui s'est passé ici [en 1984], c'est un individu. C'est un dérèglement personnel momentané. Tu te dis : c'est la vie. Mais là, ça a l'air planifié. Ça fait mal », a-t-il soutenu en marge du caucus des députés de son parti.

« Ça rappelle 1984. L'institution démocratique où des hommes et des femmes mettent beaucoup d'énergie à faire un travail professionnel, sentir que ça, c'est rendu identifié comme un danger... Ça vient te chercher », poursuit-il, soulignant toutefois ne pas avoir peur de faire son travail, compte tenu de la compétence des gens affectés à la sécurité.