La théorie des crimes d'honneur avancée par la Couronne est «invraisemblable», a plaidé Me Peter Kemp, avocat de Mohammad Shafia, mardi matin, à Kingston. Noyer quatre personnes l'une à la suite de l'autre dans les circonstances suspectées par la Couronne aurait pris beaucoup de temps. «Cent dix-sept minutes», a calculé l'avocat, ce qui est contraire à la preuve.

Dans la salle bondée, Me Kemp a été le premier à s'adresser aux jurés, mardi, pour la dernière ligne droite du procès que sont les plaidoiries. Dans la grande salle d'audience de l'antique palais de justice du comté de Frontenac, à Kingston, le lutrin des avocats a été déplacé en face des 12 jurés. «Le 30 juin 2009, Mohammad Shafia a perdu trois belles filles et Rona. Les médias ont sauté sur l'histoire et, quand la police a parlé de crimes d'honneur, c'est devenu une histoire internationale», a commencé par dire Me Kemp d'un ton sentencieux.

Pendant sa plaidoirie, qui a duré moins de deux heures, l'avocat s'est employé à déboulonner la théorie de la Couronne. Il faudrait que Mohammad Shafia soit bien stupide pour avoir choisi un endroit aussi compliqué que les écluses de Kingston pour tuer les quatre femmes et faire croire qu'il s'agissait d'un accident. En montrant des photos des lieux au jury, il a insisté sur le fait qu'il y avait tout autour des plans d'eau où il aurait été bien plus facile de jeter la voiture. Pourquoi choisir l'endroit le plus inaccessible, alors qu'il y avait deux bateaux amarrés à 35 pieds de là et des voisins en face?

Autre incohérence, selon l'avocat: «S'il avait voulu tuer les quatre femmes, Mohammad les aurait emmenées à Dubaï ou en Afghanistan, où on peut s'en tirer facilement avec un meurtre», a-t-il dit.

L'amour des enfants

Me Kemp a présenté son client de 59 ans comme un homme d'affaires prospère qui vivait pour ses enfants. C'est pour leur assurer avenir et sécurité qu'il a changé de pays plusieurs fois. La famille est arrivée au Canada en juin 2007. Lors de la tragédie, Mohammad Shafia était en train de faire construire une grande demeure à Brossard pour y loger toute sa famille. Il n'avait certainement pas l'intention de tuer ses enfants et sa première femme, Rona. Me Kemp a fait défiler des photos de cette dernière, prises quelques jours avant sa mort, lors du voyage à Niagara. On la voit souriante, maquillée, bien habillée et parée de bijoux, a insisté Me Kemp. Ce n'est pas l'image d'une femme battue, malheureuse, obligée de porter le hidjab et qui n'a pas le droit de faire quoi que ce soit, a insisté Me Kemp.

L'avocat s'est aussi employé à miner la crédibilité des témoins d'origine afghane appelés par la Couronne: Diba, la soeur de Rona, est le plus mauvais témoin qu'il ait vu. Fazel, le frère de Tooba Yahya, qui réside en Suède, prétend avoir été invité par Mohammad à participer au meurtre de Zaïnab. Me Kemp estime que Fazel ment et qu'il «n'a pas un gros quotient intellectuel». En ce qui concerne Latif Hyderi, oncle de Tooba, qui réside à Montréal, il serait frustré de ne pas avoir pu marier son fils à Zaïnab. Cet homme, qui vit d'aide sociale, aurait ainsi pu avoir accès à la fortune de Mohammad Shafia, selon Me Kemp.

Accident

L'avocat de Mohammad Shafia soutient que les quatre femmes sont mortes dans un accident. Zaïnab a pris les clés de la voiture cette fameuse nuit, comme l'ont soutenu les Shafia, elle s'est retrouvée aux écluses et a conduit jusque dans l'eau par accident. Elle et ses trois passagères, pétrifiées et désorientées par l'obscurité, une fois dans l'eau, ont été incapables de sortir. L'avocat a aussi parlé de religion. «L'islam ne permet pas les crimes d'honneur. Il n'y a pas d'honneur à tuer», a-t-il dit. La Couronne pense que les victimes peuvent avoir été noyées ailleurs avant d'être placées dans la Nissan.

«On ne sait pas où, on ne sait pas comment... Les spéculations de la Couronne ne sont pas des preuves», a lancé Me Kemp, qui a demandé au jury d'acquitter Mohammad Shafia.

Un ange, plaide Me Crowe

Puis c'est Me David Crowe, l'avocat de Tooba Yahya, qui a commencé sa plaidoirie. D'un ton monocorde, en lisant les feuilles qu'il avait devant lui, il a rappelé que les défuntes décrivaient leur mère «comme un ange», en 2009. Il a refait la preuve et soutenu que Tooba Yahya avait menti après son arrestation, quand elle avait «avoué» s'être trouvée à l'écluse avec son mari et leur fils Hamed, lorsque la Nissan était tombée à l'eau. Elle voulait protéger son fils, car elle pensait qu'il serait torturé en prison. Quand elle a constaté que son mensonge n'aiderait pas Hamed, elle est revenue sur ses paroles. Me Crowe estime que la preuve de la Couronne ne tient pas la route, soutient qu'il y a un doute raisonnable et demande l'acquittement de sa cliente. «Il y a trop de questions sans réponse dans cette enquête», a-t-il dit.

Ce matin, ce sera au tour de Me Patrick McCann, qui représente Hamed, de plaider. Après, la procureure de la Couronne Laurie Lacelle commencera sa plaidoirie. Mardi, l'affluence était si forte que, pour la première fois depuis le début du procès, beaucoup de gens n'ont pu entrer dans la salle d'audience de 150 places.

Rappelons que Mohammad Shafia, sa femme, Tooba, et leur fils, Hamed, sont accusés du meurtre prémédité des soeurs Zaïnab, 19 ans, Sahar, 17 ans, et Geeti, 13 ans, ainsi que de la première femme de Mohammad Shafia, Rona, 53 ans. Elles ont été trouvées noyées dans une Nissan au fond de l'écluse de Kingston Mills, le matin du 30 juin 2009. La famille de 10 personnes rentrait à Montréal après un voyage à Niagara lorsque la tragédie est arrivée. Le procès a commencé en octobre.