Le plan A était d'imputer la faute des quatre morts à l'aînée de ses enfants, la défunte Zaïnab. Mais quand la preuve policière s'est mise à pointer vers son fils Hamed, Tooba Mohammad Yahya est passée au plan B: sauver son fils à tout prix en faisant porter le blâme à son mari. Puis, elle est passée au plan C: la confusion et l'oubli.

C'est ce que le procureur de la Couronne Gerard Laarhuis a martelé, hier, tandis qu'il questionnait la femme de 42 ans pour la troisième journée consécutive au palais de justice de Kingston. Tooba Mohammad Yahya est accusée avec son mari, Mohammad Shafia, 58 ans, et leur fils Hamed, 21 ans, d'avoir tué trois de ses filles et la première femme de Mohammad. Le ministère public soutient que les malheureuses ont été exécutées parce qu'elles ne se pliaient pas aux strictes règles islamiques et ternissaient l'honneur de la famille. Zaïnab, 19 ans, Sahar, 17 ans, Geeti, 13 ans, et Rona, 52 ans, ont été trouvées noyées dans une Nissan au fond de l'écluse de Kingston Mills, le matin du 30 juin 2009.

En apprenant la nouvelle, le jour même, les accusés n'ont pas tenté de connaître les circonstances de la mort des quatre femmes. Ils ont tout de suite émis l'hypothèse d'un accident dû à la témérité de Zaïnab.

Ils ont raconté que, la nuit du 30 juin, la famille de 10 personnes, de retour d'un voyage à Niagara, s'était arrêtée dans un motel de Kingston vers 2 h du matin pour se reposer. Zaïnab a demandé les clés de la voiture pour aller y chercher ses vêtements. La jeune femme, qui n'avait pas de permis de conduire, en avait sûrement profité pour faire une promenade avec ses deux soeurs et Rona, et elles étaient tombées dans l'écluse.

Deuxième version

Mais cette version a rapidement été mise à mal, et le couple et leur fils ont été arrêtés le 22 juillet 2009, trois semaines après la tragédie. En interrogeant Tooba, l'enquêteur Shahin Mehdizadeh lui a dévoilé des éléments de preuve. Cette preuve démontrait que la Lexus de Mohammad Shafia avait heurté l'arrière de la Nissan pour la pousser dans l'eau. Or, c'est Hamed qui avait conduit la Lexus cette nuit-là en revenant de Niagara, selon leur version.

Tooba a alors modifié son histoire. Elle a admis que la Lexus avait été à l'écluse en même temps que la Nissan cette nuit-là. Mais elle a constamment essayé d'attirer l'attention du policier sur le fait que l'important, dans tout cela, était de savoir «qui conduisait la Lexus». Ce n'était pas Hamed, a-t-elle assuré, car il était avec elle sur le bord de la route quand la Nissan est tombée à l'eau. C'est son mari, Shafia, qui conduisait la Lexus, a-t-elle fini par dire.

Le lendemain, Tooba est revenue sur ses paroles et a assuré que ce qu'elle avait dit la veille était faux. Ils n'étaient pas à l'écluse quand la Nissan était tombée; c'est Zaïnab qui avait pris les clés.

Flous et contradictions

Mais voilà, le récit de Tooba sur le trajet et les événements de cette fameuse nuit, tout comme celui de ses coaccusés, est rempli de flous et de contradictions. Tooba a conduit la Nissan où se trouvaient les quatre futures victimes, mais elle se dit incapable de préciser les endroits où elle s'est arrêtée pour passer le volant à son mari, parce que, dit-elle, elle avait trop sommeil.

Il s'agit de détails d'une importance capitale dans la cause. La Couronne cherche à les connaître depuis deux ans et demi. Mais la femme persiste à dire qu'elle était malade cette fameuse nuit, qu'elle ne connaît pas les routes ni les villes, qu'elle ne peut pas lire les panneaux parce qu'elle ne comprend pas l'anglais.

Son récit a changé au fil des versions. Il est si confus sur certains points que c'en est étourdissant. Tantôt elle semble dire qu'elle s'est arrêtée une fois pour donner le volant de la Nissan à son mari, tantôt cela semble être deux fois. On ne sait plus trop qui a conduit quoi, où et à quel moment.

Elle explique ses mensonges et ses contradictions par le fait qu'elle a perdu ses sept enfants (trois sont mortes, trois lui ont été enlevés par la DPJ après le drame, et l'aîné des garçons, Hamed, est accusé) et par le stress et la pression que la police lui a fait subir. Elle a aussi menti pour sauver son fils, car elle a pensé que la police allait torturer Hamed en le plongeant dans l'eau glacée comme en Afghanistan.

Me Laarhuis pense que Tooba continue plutôt de suivre son plan C. Le contre-interrogatoire se poursuit aujourd'hui.