Dans certaines cultures patriarcales, la femme est considérée comme la propriété de l'homme et elle doit se soumettre aux règles qu'il a établies. Celle qui enfreint les règles ternit l'honneur de l'homme et s'expose à le payer de sa vie. Car c'est en versant le sang que l'honneur peut être rétabli.

C'est ce qui se dégage du témoignage que le dernier témoin de la Couronne, la Dre Shahzrad Mojab, a livré lundi, devant le jury chargé de juger les Shafia, à Kingston, en Ontario. Mohammad Shafia, 58 ans, sa femme Tooba, 41 ans, et leur fils aîné, Hamed, 20 ans, sont accusés d'avoir tué avec préméditation quatre femmes de leur famille, le 30 juin 2009. La Couronne croit que les trois filles du couple, Zainab, 19 ans, Sahar, 17 ans, et Geeti, 13 ans, de même que Rona, 50 ans, première femme de Mohammad Shafia, ont été exécutées au nom de l'honneur.

Une affaire de culture

Née en Iran, Mme Mojab a quitté son pays à la fin des années 70 pour venir en Amérique du Nord, où elle a poursuivi des études axées sur l'éducation et les femmes. Celle dont le cheminement professionnel s'étale sur un curriculum vitae de 48 pages et qui enseigne au Département de psychologie de l'Université de Toronto a été appelée à la barre pour expliquer ce qu'est un crime d'honneur.

Mme Mojab, qui a coécrit le livre Violence au nom de l'honneur, a signalé que le crime d'honneur relève de pratiques culturelles qui n'ont pas de lien direct avec la religion et qui ne se limitent pas au Moyen-Orient. Dans certaines sociétés, notamment en Afghanistan, pays d'origine des Shafia, la racine de l'honneur est le contrôle du corps de la femme et de sa sexualité. «Pour l'homme dominant, il est très important de maintenir cette relation de force, car cela reflète qui est au pouvoir dans la maison», a expliqué la Dre Mojab. Cette domination dicte le choix de l'habillement de la femme, de ses relations, de son éducation, de ses emplois.»

En cas de non-respect du code, le déshonneur rejaillit sur l'homme et sa famille. Et le moyen de rétablir l'honneur est de verser le sang. Les victimes sont les filles ou les femmes, tandis que les agresseurs peuvent être les pères, les frères, les oncles et parfois même les mères, qui sont mises à contribution, notamment dans la planification, voire dans l'exécution des plans. Ceux qui tuent leurs filles au nom de l'honneur prétendent aimer leurs enfants, a fait valoir la Dre Mojab. Ils considèrent que la souffrance du déshonneur est plus importante que la mort.

En contre-interrogatoire, Mme Mojab a admis que ceux qui commettent des crimes d'honneur les avouent habituellement. Elle a aussi convenu qu'elle n'avait jamais répertorié de crimes d'honneur à victimes multiples ni par noyade.

La défense

La preuve de la Couronne étant terminée, ce sera au tour de la défense de faire valoir la sienne, à partir de jeudi. Rappelons que les quatre victimes alléguées ont été trouvées noyées dans une Nissan au fond de l'écluse de Kingston Mills, le matin du 30 juin 2009. La famille Shafia, établie à Montréal depuis 2007, revenait d'un voyage à Niagara Falls dans deux voitures lorsque la tragédie est survenue. Les accusés soutiennent qu'il s'agit d'un accident.