Quand la mère de Sahar s'est présentée à l'école Antoine-de-Saint-Exupéry, en 2008, pour savoir si sa fille avait embrassé un garçon, l'enseignante Claudia Deslauriers a menti pour protéger l'adolescente.

«J'ai dit: "Non, elle n'a pas embrassé de garçon." Ce n'était pas la vérité, mais je ne voulais pas que Sahar ait des problèmes à la maison», a expliqué Mme Deslauriers, jeudi, au procès de Mohammad Shafia, de sa femme Tooba et de leur fils Hamed, accusés d'avoir tué avec préméditation les soeurs Zainab, 19 ans, Sahar, 17 ans, Geeti, 13 ans, et Rona, première femme de Mohammad Shafia, le 30 juin 2009.

D'origine afghane, Mohammad Shafia, ses deux femmes et ses sept enfants (tous issus de la seconde femme) ont résidé une quinzaine d'années à Dubaï, aux Émirats arabes unis, avant d'immigrer au Québec, en juin 2007. La famille a loué un logement à Saint-Léonard. Les enfants avaient alors de 6 à 18 ans. Quatre des enfants Shafia, dont Sahar et Geeti, ont fréquenté l'école Antoine-de-Saint-Exupéry, polyvalente de 2000 élèves à Saint-Léonard. Ils étaient en classe d'accueil pour immigrants. Mme Deslauriers a enseigné à trois des enfants Shafia, dont Sahar, en 2008 et 2009. L'enseignante situe la rencontre avec la mère de Sahar aux environs d'avril 2008 ou un peu avant. Elle ne se souvient plus comment a été organisée la rencontre, mais Tooba Mohammad Yahya, la mère, est venue la voir avec une autre de ses filles, qui a traduit ses propos. Mme Deslauriers se souvient que la femme, qui s'exprimait en farsi, était fâchée, elle pouvait le voir à ses «expressions non verbales».

«Elle a dit qu'elle n'acceptait pas que sa fille embrasse des garçons, que ce n'était pas dans ses valeurs», a raconté Mme Deslauriers. Si celle-ci s'inquiétait pour Sahar, c'est qu'une autre enseignante, Antonella Enea, lui en parlait souvent. Sahar, qui avait 16 ans à ce moment, avait des problèmes à la maison avec ses parents.

Règles strictes

Mme Enea, qui enseignait le français à Sahar, a également témoigné, jeudi. En répondant sèchement aux questions, elle a raconté que Sahar se plaignait de ne pas pouvoir avoir une vie «normale» comme les autres adolescents, en raison des règles trop strictes à la maison. L'école a fait deux signalements au sujet de Sahar à la Direction de la protection de la jeunesse: en avril 2008 et le 5 juin 2009. La deuxième fois, Sahar a dit que son père s'apprêtait à rentrer de Dubaï et qu'elle craignait qu'il la batte. Elle a obtenu des adresses pour des ressources d'hébergement, mais elle ne s'y est pas rendue. Le 8 juin 2009, elle a rencontré une travailleuse sociale à l'école. Elle a confié qu'elle n'avait plus de crainte, car ses parents étaient séparés et son père vivait dans un motel. Ce qui était faux. Elle voulait trouver un emploi pour quitter la maison et songeait à amener sa petite soeur Geeti, 13 ans, avec elle.

Le procès se poursuit aujourd'hui, à Kingston.

Rappelons que les quatre victimes ont été trouvées noyées dans une Nissan au fond de l'écluse de Kingston Mills, le matin du 30 juin 2009.