Innombrables absences et retards non motivés, pensées suicidaires, crainte maladive du père, peur du frère, vêtements trop révélateurs, désir d'être placée par la DPJ. L'attitude des soeurs Sahar et Geeti Shafia préoccupait grandement les intervenants de l'école qu'elles fréquentaient. Mais leurs efforts, entre autres deux signalements portés à la DPJ, n'ont pas eu les résultats escomptés.

«On en a fait beaucoup. On a fait plus que notre rôle d'école», a expliqué avec émotion Nathalie Laramée, directrice adjointe de l'école Antoine-de-Saint-Exupéry, mercredi, alors qu'elle témoignait au procès des Shafia, à Kingston.

Quatre des enfants Shafia, dont Sahar et Geeti, fréquentaient cette école de Saint-Léonard en 2008 et 2009. Comme ils étaient arrivés à Montréal depuis peu (en juin 2007), les enfants étaient en classes d'intégration, notamment pour apprendre le français, dans cette école de 2000 élèves.

Dès mai 2008, la direction a fait un signalement à la DPJ au sujet de Sahar. L'adolescente, qui avait alors 16 ans, s'était confiée à un professeur. Elle ne voulait pas porter le voile, alors que ses parents voulaient le lui imposer. Elle se plaignait de son frère Hamed, qui était sévère et la brutalisait occasionnellement. Elle se sentait isolée car il arrivait que les membres de sa famille reçoivent la consigne de ne pas lui adresser la parole, et cela pendant de longues périodes. Elle était malheureuse, et avait pris des médicaments pour se suicider, sans vraiment vouloir mettre fin à ses jours. Sa mère avait réagi en disant: «Si elle veut se tuer, qu'elle le fasse.»

Mais lorsque la travailleuse sociale de Batshaw est arrivée, et que Sahar a su que ses parents seraient mis au courant, elle a nié et minimisé son histoire. Elle pleurait, ne voulait pas quitter sa famille. Les parents ont été rencontrés et ont nié eux aussi toute violence. Le père disait travailler fort pour ses enfants. Le dossier a été fermé.

Même situation

La situation ne s'est pas améliorée pour autant. En février 2009, Mme Laramée a demandé à rencontrer les parents des deux soeurs, vu les absences et les retards. Elle a fini par parler à la mère, Tooba, qui disait chercher elle-même de l'aide pour motiver ses filles à aller à l'école.

Le 28 avril, Mme Laramée a de nouveau ren-contré les parents au sujet de Sahar et Geeti. «Le père était dans tous ses états. Il parlait fort, il répétait "polizia, polizia"», a raconté Mme Laramée. Celle-ci a appris plus tard que la police était allée à la maison familiale de Saint-Léonard. C'est l'époque ou l'aînée, Zainab, s'était réfugiée dans une maison pour femmes en difficulté. Cela avait créé une grande commotion dans la famille. On sait que quatre des enfants Shafia, dont Sahar et Geeti, ont demandé à un passant d'alerter le 9-1-1, car ils craignaient la réaction de leur père. Là, encore le dossier a été fermé après enquête.

Le 11 mai 2009, Geeti a été expulsée de la classe pour impolitesse. Mme Laramée est allée les voir toutes les deux sur l'heure du midi. «Ce fut le midi le plus dur que j'ai connu. Geeti était en pleurs, en colère, parce qu'elle avait l'idée de partir avec Sahar quand celle-ci quitterait la maison à 18 ans. Geeti n'avait que 13 ans, et l'enseignante avait déconseillé à Sahar d'amener sa jeune soeur avec elle, ce qui avait mis Geeti dans tous ses états.

«On a passé une heure et quart. Je pleurais aussi. La cloche a sonné, aucune des trois n'avait dîné», a raconté Mme Laramée. Cette dernière a reparlé avec la mère, Tooba. Celle-ci a dit ne plus savoir quoi faire avec Geeti, qui ne pensait qu'à être placée par la DPJ.

Le 5 juin 2009, l'école a encore appelé la DPJ pour Sahar. Mais, elle avait dix-sept ans et demi, et le signalement n'a pas été retenu, selon Mme Laramée. Vingt-cinq jours plus tard, les soeurs Sahar, Geeti et Zainab, ainsi que Rona, première épouse de leur père, étaient trouvées mortes.

Le procès se poursuit jeudi.