«Tu ne vas pas te suicider, hein, Hamed? Tu penses au suicide, mais ne fais rien de stupide. Ne fais rien de stupide», a répété avec inquiétude un membre de la famille d'Hamed Shafia, la nuit du 22 juillet 2009, quelques heures avant que le jeune homme de 18 ans et ses parents soient arrêtés en lien avec les meurtres allégués de trois de ses soeurs et de la première femme de son père.

L'enregistrement de cette troublante conversation, de même que d'autres réalisés à l'insu des accusés avant et après leur arrestation, ont été présentés pendant toute la journée, hier, au jury chargé de les juger, à Kingston. Les soeurs Zainab, 19 ans, Sahar, 17 ans, Geeti, 13 ans, et Rona Amir Mohammad, 53 ans, ont été trouvées noyées dans une Nissan au fond de l'écluse de Kinston Mills, le matin du 30 juin 2009.

Ce qui semblait être un accident au départ a vite mené à une enquête pour quadruple homicide, vu les indices trouvés sur les lieux et ailleurs. Mohammad Shafia, sa femme Tooba et leur fils Hamed étaient les principaux suspects. Le 18 juillet 2009, les policiers ont installé secrètement des enregistreurs dans la camionnette Pontiac de Mohammad Shafia et dans la maison familiale de Saint-Léonard, en même temps qu'ils commençaient à resserrer leur étau sur le trio. Les trois suspects s'inquiétaient de savoir ce que la police savait, et si elle bluffait. Des propos révélateurs ont été obtenus sur écoute. Le 19 juillet, lorsqu'il se trouvait dans sa camionnette avec sa femme, Mohammad a parlé de ses filles mortes et leur a reproché d'avoir fréquenté des garçons. «Comme cette maudite Geeti qui a pris un ami de [notre garçon] comme chum... Tout ce qu'elle [Zainab] a pu nous faire, elle l'a fait. On a perdu notre honneur... Même si elle revenait à la vie 100 fois, si j'avais un couperet dans les mains, je la taillerais en pièces. Qu'on soit en vie une nuit ou un an, on n'aura plus de crainte que notre fille soit dans les bras d'un tel ou d'un tel. Dieu les maudit, elles et leur genre. Que le diable aille chier sur leurs tombes. Est-ce qu'une fille peut être une putain pareille? Filles sans honneur, je me demande même si elles ne faisaient pas ça à Dubaï.»

Sa femme Tooba se montrait beaucoup plus conciliante.

Catastrophe

Le lendemain, le 20 juillet, Mohammad a continué: «Nous ne sommes pas stricts, nous sommes une famille libérale, mais nous n'acceptons pas un tel comportement. Elles pouvaient aller à l'école, au parc... Des fois, je leur disais de porter le foulard, mais toi aussi, tu étais d'accord... Tooba, ce qu'elle [Zainab] a fait va à l'encontre des écritures du livre saint, que ce soit celui des hindous ou des musulmans. Ça va à l'encontre de tous les livres, de toutes les religions... Sauf pour leurs péchés et cette fornication, quand est-ce que je l'ai appelée dégoûtante?», a-t-il dit en parlant de Zainab.

Le 21 juillet 2009, c'était la catastrophe pour la famille Shafia: leurs trois enfants survivants leur ont été enlevés et les policiers ont perquisitionné à leur domicile.

«Dans quel désastre m'as-tu entraînée?», a fait valoir Tooba, qui était manifestement très inquiète. Mohammad a répondu que la police essayait tous ses trucs. «Je vais dire à l'avocat qu'on n'a rien fait. Mais si le gouvernement en décide autrement, s'il y a un moment pour régler ça, je vais accepter la solution même si je dois aller en prison toute ma vie.» Un peu plus tard, Mohammad a dit être en paix avec sa conscience. «Elles ont mal agi et Dieu les a punies.»

En parlant à Hamed, Mohammad a dit ceci: «Ma conscience, mon Dieu, ma religion, mes principes n'ont pas honte. Rien n'est plus précieux que mon honneur.» Il a recommandé à son fils Hamed de faire un homme de lui. «Regarde ta mère, je lui ai dit d'agir en homme et non en femme. Elle agit en homme», en voulant dire qu'elle est capable d'encaisser et qu'elle reste stoïque.

La police a aussi écouté des conversations qu'Hamed a eues avec des membres de sa famille sur son portable, la nuit précédant son arrestation. Le ton était triste et défaitiste.

Son jeune interlocuteur l'a assuré qu'il n'était pas celui qui avait appelé la police. Il se demandait s'il devait se suicider. Hamed lui a répondu de ne pas le faire. Un peu plus tard, les rôles se sont inversés. C'est le jeune interlocuteur qui craignait qu'Hamed s'enlève la vie.

«Notre vie est finie», a dit Hamed à un certain moment.

Le couple et son fils ont été arrêtés à Montréal vers 9h, le matin du 22 juillet 2009, alors qu'ils étaient en voiture. Ils ont été amenés à Kingston le jour même. Le père et le fils ont pu parler ensemble pendant le transport et leurs conversations ont été enregistrées. «Ne t'en fais pas. Prends le bon côté des choses. Elles ont ruiné nos vies. Ne t'en fais pas.»

«Je ne m'en fais pas, je m'en fais pour ma mère. Elle pourrait perdre la raison», a dit Hamed.

«Ta pauvre mère. Que la colère de Dieu s'abatte sur ces filles...», a répondu son père.

«Dans ma déclaration précédente, j'ai dit que je n'avais rien fait. On va voir ce qu'ils vont dire. On n'a rien fait de mal. Elles l'ont fait elles-mêmes...»

Le procès se poursuit aujourd'hui.