Il était un peu passé midi, dimanche, au palais de justice de Saint-Jérôme. Dans la salle d'audience bondée, la tension était à son maximum. Assis dans le box des accusés, Guy Turcotte se berçait tout doucement de droite à gauche. Les jurés sont entrés l'un après l'autre, l'air grave. Et puis, tout s'est passé très vite.

«Mesdames et messieurs du jury, qui parlera en votre nom?», a demandé la greffière d'un ton solennel.

Le juré numéro onze s'est levé.

«Sur le premier chef, quel est votre verdict?», a poursuivi la greffière, en faisant allusion au meurtre du petit Olivier.

«Coupable de meurtre au deuxième degré», a répondu le juré.

La deuxième question, qui visait cette fois le meurtre de la petite Anne-Sophie, s'est conclue de manière identique.

Le sort de Guy Turcotte venait d'être scellé, au septième jour des délibérations.

L'homme de 43 ans n'a eu aucune réaction. Celui qui était cardiologue au moment des faits paraissait résigné, comme s'il s'y attendait. Assise dans la première rangée, Isabelle Gaston, son ex-conjointe, mère des victimes et médecin elle aussi, s'est mise à pleurer. De soulagement.

Peine et satisfaction

«J'étais soulagée, j'étais sous le choc. J'aurais voulu me lever et dire merci», a expliqué Mme Gaston, un peu plus tard, en s'adressant aux médias. Malgré sa grande satisfaction devant le verdict, Mme Gaston était bien sûr submergée par la peine en évoquant ses enfants.

«Étonnamment, aujourd'hui, on ne peut pas parler de victoire, il ne faut pas oublier qu'un petit garçon et une petite fille sont morts. Obtenir justice, c'est super important pour une mère qui a perdu ses enfants, mais [aussi] pour nous tous. Je considère que c'est une injustice qui a été commise à l'égard de deux enfants, mais c'est un peu une injustice qui a été commise à l'égard de tous. Quand on vient à accepter un crime aussi grave que ce qu'Anne-Sophie et Olivier ont vécu, c'est un peu comme si on avait un déshonneur ou qu'on tolérait [de briser] le pacte social de régler nos problèmes sans violence. Pour moi, Olivier et Anne-Sophie, j'espère qu'ils vont pouvoir reposer leur âme, leur image en tout cas, car ils sont clairement le symbole que nous autres, au Québec, la violence faite à des enfants, on ne tolérera pas ça. C'est la journée où je vais pouvoir commencer à me reposer. J'ai eu l'impression que ma vie était un combat, vraiment un combat.»

«Un travail rigoureux»

Juste avant, le procureur de la Couronne René Verret avait pris la parole pour exprimer la satisfaction du ministère public par rapport au verdict et adresser des remerciements. Il était accompagné de sa collègue Maria Albanese.

«Les quatre femmes et sept hommes avaient un rôle extrêmement important à jouer dans le processus. Les verdicts ont été rendus après avoir effectué un travail rigoureux, exigeant et méthodique», a-t-il dit.

Me Verret a remercié les collaborateurs, et souligné le «travail remarquable» des trois médecins qui ont témoigné pour la poursuite, soit la psychiatre France Proulx, le psychiatre Pierre Bleau et le médecin toxicologue Martin Laliberté.

Fidèles à leurs habitudes, les avocats de la défense, Pierre et Guy Poupart, n'ont pas fait de commentaire. Il y a toujours une possibilité d'appel, mais on ignore si M. Turcotte voudra tenter sa chance. L'intention d'en appeler doit être manifestée dans les 30 jours suivant un verdict.

Prison à vie

Le meurtre non prémédité entraîne automatiquement la prison à vie avec une peine minimale de 10 à 25 ans de prison avant d'être admissible à une libération conditionnelle. C'est le juge qui décide de cette période d'inadmissibilité, mais le jury peut faire une recommandation, s'il le désire. Après réflexion, dimanche, les jurés ont refusé de faire une recommandation. Le juge André Vincent décidera donc seul. Il entendra les plaidoiries des parties à ce sujet le 18 décembre. M. Turcotte a déjà purgé plus de deux ans en détention préventive, puisqu'il était détenu avant son premier procès, soit du 21 février 2009 au 5 juillet 2011. Cela devrait lui être crédité en double.

M. Turcotte, qui était libre pendant son second procès, n'est pas ressorti de la salle d'audience après le verdict, puisqu'il a été détenu sur-le-champ. Il a quitté le palais de justice une trentaine de minutes plus tard, à bord d'un petit autobus des services correctionnels. Normalement, il devrait être évalué au Centre de réception de Sainte-Anne-des-Plaines, avant d'être envoyé dans un pénitencier pour purger sa peine.

Un drame, deux procès

Rappelons que le drame est survenu le 20 février 2009, dans un contexte de séparation entre Guy Turcotte et Isabelle Gaston. M. Turcotte, qui exerçait la profession de cardiologue à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme, a poignardé ses enfants à de multiples reprises, dans la maison de Piedmont qu'il louait depuis trois semaines. Il avait bu du lave-glace pour se suicider. Le drame a été découvert le lendemain, quand ses parents, inquiets, se sont présentés chez lui. Tout était verrouillé et personne ne venait répondre. Ils ont appelé le 9-1-1.

Vers 11h30 le matin, les policiers sont entrés de force dans la maison et ont découvert les corps sans vie d'Olivier, 5 ans, et d'Anne-Sophie, 3 ans, dans leur chambre respective. M. Turcotte a été trouvé sous son propre lit, taché de vomissures et du sang de ses enfants. Il a été traité pour empoisonnement au méthanol, et n'a pas conservé de séquelles physiques.

M. Turcotte a présenté une défense de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux aux deux procès. Tous les psychiatres ont conclu qu'il souffrait d'un trouble d'adaptation, mais ne s'entendaient pas sur les conséquences de ce trouble.  Dans les deux cas, le jury devait choisir entre les mêmes verdicts: non coupable pour cause de troubles mentaux, coupable de meurtres prémédités, coupable de meurtres non prémédités ou coupable d'homicides involontaires. Au sixième jour de ses délibérations, le 5 juillet 2011, le jury du premier procès avait conclu que M. Turcotte était non criminellement responsable.

L'issue de ce premier procès avait soulevé l'ire de la population. Beaucoup de gens n'acceptaient pas que M. Turcotte, qui admettait avoir tué ses enfants, soit déclaré non responsable. Après le verdict, M. Turcotte avait été transféré de la prison à l'Institut Philippe-Pinel, où il est resté jusqu'en décembre 2012. Il avait alors été libéré, mais devait se soumettre à certaines conditions, qu'il a toujours respectées.

En novembre 2013, la Cour d'appel a ordonné un nouveau procès après avoir trouvé une erreur de droit dans les directives du juge au jury.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Guy Turcotte, qui était libre pendant son second procès, n'est pas ressorti de la salle d'audience après le verdict, puisqu'il a été détenu sur-le-champ.