Isabelle Gaston, l'ex-conjointe de Guy Turcotte, reconnu non criminellement responsable du meurtre de ses deux enfants, réclame une modification du Code criminel.

Présente à la manifestation organisée aujourd'hui à Montréal, en opposition au verdict rendu par le jury le 5 juillet dernier, Isabelle Gaston a dit souhaiter que le trouble d'adaptation avec anxiété et humeur dépressive, maladie dont souffrait Guy Turcotte au moment des événements, soit exclu de l'article 16 du Code criminel qui porte sur la défense pour troubles mentaux. «Jusqu'à la fin de ma vie, je vais continuer de penser que mes enfants subissent une seconde injustice avec ce verdict-là», a-t-elle confié.

La mère d'Olivier, cinq ans, et d'Anne-Sophie, trois ans, qui avait jusqu'à présent fait preuve d'une grande réserve quant à la décision des jurés, a ouvertement critiqué le verdict aujourd'hui. «Vivre avec un verdict c'est une chose, être d'accord avec un verdict, c'est une autre chose, a-t-elle déclaré avec aplomb, devant le palais de justice de Montréal où étaient réunis plus d'une centaine de manifestants. Comme concitoyenne, je n'ai pas le choix de me plier au verdict que les jurés ont prononcé. Mais, je n'ai pas à l'accepter. Je n'ai pas à ne pas le dénoncer.»

Isabelle Gaston, qui a dit côtoyer régulièrement des personnes atteintes de troubles mentaux dans le cadre de son travail d'urgentologue, a soutenu ne pas être d'accord avec le portrait de Guy Turcotte qu'ont dressé les psychiatres devant les jurés. Elle a ajouté que la défense de non-responsabilité criminelle pour troubles mentaux devrait être réservée aux gens «vraiment malades». «Il ne faut pas nier la détresse que cet homme-là a vécue, a-t-elle souligné. Pour tuer son enfant, tuer sa femme, tuer sa soeur, il faut avoir une détresse. Mais est-ce que la personne n'a pas un devoir de mettre en sécurité ses enfants? Est-ce qu'elle n'a pas un devoir d'aller chercher de l'aide? On a affaire à un médecin qui avait les moyens de le faire.»

Selon elle, l'article 16 devrait être réservé à certaines maladies spécifiques. «Le trouble d'adaptation avec anxiété et humeur dépressive n'est, selon moi, pas un bon diagnostic à inclure dans l'article 16.» Elle estime également que l'évaluation psychologique de l'accusé devrait être faite par trois psychiatres indépendants et que le jugement concernant la non-responsabilité criminelle devrait être réservé au juge. Mme Gaston a encouragé les citoyens à écrire au ministère de la Justice du Canada et à leur député fédéral pour réclamer des modifications au Code criminel.

«Quand on tue, il y a toujours un petit moment de folie, a remarqué son conjoint, Martin Huot. Il faut prendre ça en considération. Quand tu poses un geste, il doit y avoir des conséquences.»

Isabelle Gaston a aussi réclamé une amélioration de l'aide psychologique offerte aux parents dont les enfants sont victimes de meurtre ou d'enlèvement. Vêtue d'un chandail sur lequel étaient imprimées les photos d'Olivier et d'Anne-Sophie, elle s'est dite touchée de voir autant de gens mobilisés. Elle tenait à être présente parce que, a-t-elle dit, «ma place n'était pas ailleurs». Des parents d'enfants disparus, notamment Michel Surprenant, le père de Julie Surprenant, et Christiane Sirois, la mère de Sébastien Métivier, étaient également présents.



Autour de l'endroit où avait été déposés des animaux en peluche et des chandelles, les manifestants se sont donné la main pour former une «chaîne d'amour» alors que des haut-parleurs diffusaient la chanson Une chance qu'on s'a de Jean-Pierre Ferland. «Moi aussi, j'ai vécu une peine d'amour, ça a été difficile pendant plein d'années, je me suis séparée et je n'ai pas tué pour autant mon enfant, a affirmé Chantale Rondeau, une manifestante qui dit avoir pleuré à l'annonce du verdict.

Des manifestations d'opposition au verdict du jury dans le procès de Guy Turcotte se sont également tenues dans 13 autres villes du Québec, dont Gatineau, Saint-Jean-sur-Richelieu, Laval et Québec. Le rassemblement montréalais était organisé par Laurie et Jim, les deux adolescents de 14 ans à l'origine de la page Facebook Contre le verdict du procès de Guy Turcotte qui compte plus de 23 000 membres. «Nous voulons rendre hommage à Anne-Sophie et Olivier qui ne méritaient pas de mourir et suggérer un changement dans le système judiciaire», a déclaré Laurie. Selon elle, un troisième avocat, qui s'ajouterait à la Couronne et la défense, devrait représenter les parties civiles, soit les proches des victimes, lors des procès.

Présent au rassemblement, le député néo-démocrate de Saint-Jean, Tarik Brahmi, a déclaré qu'il se ferait la voix des manifestants à la Chambre des Communes. «La population demande une modification de la loi. Je vais conscientiser mes collègues législateurs pour qu'on ouvre ce débat.»

Un manque d'information



Selon, Marc-Antoine Cloutier, directeur général de la Clinique juridique Juripop, un organisme qui travaille à la sensibilisation du public au droit, de tels rassemblements témoignent d'un manque d'information du public sur le système judiciaire. «Beaucoup de gens disent manifester contre le verdict, a-t-il constaté. On peut être fâché d'un verdict, mais on ne peut pas protester ou espérer pouvoir, par des manifestations populaires, influencer le cours des affaires judiciaires.» Il a rappellé que l'indépendance du système judiciaire est nécessaire et qu'il faut éviter un retour au tribunal populaire de la Grèce antique. «Il faut se garder une réserve quand vient le temps de critiquer un jugement. Le processus suit son cours. S'il y a une erreur de droit, le système juridique va se corriger lui-même.»

La famille Gaston attend toujours de savoir si la Cour d'appel acceptera d'entendre l'appel du verdict interjeté par le Directeur des poursuites criminelles et pénales, le 22 juillet dernier. «S'il y a un nouveau procès, on y retournera et on recommencera, a dit Patrick Gaston, le frère d'Isabelle. J'en ferais 100 procès jusqu'à temps qu'il soit condamné.» Isabelle Gaston compte pour sa part suivre la suite des procédures avec davantage de recul. «C'est comme acheter un 6/49, a-t-elle illustré. On n'a peu de chance de gagner. Il ne faut pas y fonder beaucoup d'espoir.»