Le procès du cardiologue Guy Turcotte est particulièrement éprouvant. Certains détails difficiles à supporter sont dévoilés jour après jour par notre journaliste. Nous préférons vous en avertir.

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Il est extrêmement rare qu'un père tue ses enfants par vengeance. Des 60 pères qui ont tué un ou plusieurs de leurs enfants entre 1991 et 2001 (77 victimes) au Québec, seulement un l'a fait par vengeance.

Cette donnée fait partie des statistiques que la psychiatre Dominique Bourget a répertoriées dans le cadre de ses travaux scientifiques, et qu'elle a expliquées au jury, ce matin, au procès de Guy Turcotte. La théorie avancée par la Couronne est à l'effet que Guy Turcotte a tué ses enfants pour se venger d'Isabelle Gaston, sa conjointe de qui il était séparé depuis peu. Selon les critères soumis au jury, pour qu'un meurtre d'enfant ait été commis par vengeance, il ne doit pas y avoir de maladie mentale. Or, la Dr Bourget est d'avis que Guy Turcotte souffrait d'une grave maladie mentale quand il a tué ses deux enfants, le 20 février 2009, à Piedmont. En plus d'être «sévèrement dépressif», il était «hautement suicidaire.» Le fait qu'il ait consommé du lave-glace pour se suicider, n'a certainement pas amélioré les choses, mais ce n'est pas le plus significatif aux yeux de la psychiatre.

On ne connaît pas la chronologie exacte des événements. M. Turcotte a-t-il bu du lave-glace avant de tuer ses enfants, ou après? Peu importe le moment où il y a eu ingestion, estime la psychiatre, car c'est un élément qui s'est ajouté à la pathologie de maladie mentale. Il en a assurément consommé après avoir tué ses enfants, car il y avait du sang sur le bidon de lave-glace trouvé sur les lieux. Mais elle pense qu'il en a bu avant aussi. M. Turcotte a témoigné voulant qu'il se voyait mourir empoisonné au lave-glace, quand il a réalisé que ses enfants le trouveraient mort. Il a voulu les emmener avec lui pour leur éviter cette souffrance de le trouver mort.

C'est un «motif inconcevable, à  la limite, c'est quasiment délirant», a noté Dr Bourget. «Pour lui, c'est devenu la chose à faire. Il n'avait pas les capacités de voir que ce n'était pas la chose à faire.» Selon la Dr Bourget, le cerveau de M. Turcotte déraillait, et il ne contrôlait plus sa pensée. Les gestes sont survenus de façon impulsive, en raison d'un jugement extrêmement perturbé et une logique fautive. En conclusion, la Dr Bourget est d'avis qu'au point de vue médical, M. Turcotte n'était pas responsable, car il n'avait «cliniquement plus la capacité d'apprécier la nature et les conséquences de ses gestes.

Pour en revenir aux statistiques présentées ce matin, la Dr Bourget a signalé que 49 des 60 pères qui ont tué leurs enfants entre 1991 et 2001, avaient une pathologie de maladie mentale, comme la dépression ou la schizophrénie. Une autre partie du groupe l'a fait par ce qu'elle a qualifié «d'abus fatal.» Il s'agit souvent d'un père qui va battre son enfant ou le secouer. Il y a aussi des meurtres par compassion, comme le cas Latimer, qui avait tué sa fille gravement handicapée pour abréger ses souffrances.

Le procès se poursuit cet après-midi. Mme Bourget, experte en psychiatrie légale retenue par la défense, est interrogée pour une quatrième journée par l'avocat de l'accusé, Me Pierre Poupart. Ce dernier croit en avoir pour peu de temps cet après-midi. Ce sera ensuite au tour de la Couronne de contre-interroger le témoin.

On amorce la septième semaine du procès de Guy Turcotte, accusé des meurtres prémédités de ses deux enfants. Olivier, cinq ans, et Anne-Sophie, trois ans, ont été poignardés à mort par leur père cardiologue. Le drame est survenu dans un contexte de séparation. M. Turcotte admet avoir tué ses enfants. L'enjeu du procès est de déterminer sa responsabilité criminelle, vu son état d'esprit au moment où il l'a fait.