Le jury dans le procès de Marie-Josée Viau et Guy Dion a rendu son verdict, dimanche soir. Dion, acquitté ; Viau, condamnée. Mais la Justice, elle, sort de cette pièce de théâtre sinistre avec un œil au beurre noir.

Rappelons les faits. Le couple était accusé du meurtre prémédité de deux bandits, en juin 2016. Les frères Vincenzo et Giuseppe Falduto avaient été tués par un tueur à gages, sur leur propriété.

Le tueur à gages a plus tard décidé de déballer son sac aux policiers. Il a piégé ses complices Viau et Dion en les enregistrant à leur insu, des années plus tard.

Le procès a duré cinq mois. Le jury a entendu les bandes audio – glaçantes – du couple qui se remémorait des détails des meurtres avec le tueur à gages. Ce dernier a lui aussi témoigné au procès.

Le couple, lui, a nié en cour sa participation. Il a plaidé qu’il ne savait pas qu’un double meurtre allait avoir lieu sur sa propriété. Il a expliqué avoir collaboré avec la mafia, après les faits, pour sauver sa peau.

Il a nié avoir participé au complot pour le meurtre des frères Falduto. Il a nié avoir brûlé les corps des frères Falduto, d’avoir jeté les cendres dans une rivière.

Le jury a rendu son verdict après neuf jours de délibérations, isolé du reste de la société.

Guy Dion : acquitté.

Marie-Josée Viau : coupable de complot et de meurtres au deuxième degré.

Petit hic, ici : ce que Guy Dion et Marie-Josée Viau ont nié avec fermeté devant le tribunal, ils l’avaient avoué aux enquêteurs après leur arrestation !

Mais le juge Éric Downs a exclu ces aveux parce que les enquêteurs de la Sûreté du Québec avaient « subtilement » nié les droits constitutionnels des accusés, à savoir leur droit au silence et leur droit au recours rapide aux services d’un avocat.

Ce n’est pas anodin : le droit au silence et le recours à un avocat pour des citoyens accusés d’un crime, c’est un peu, beaucoup, ce qui distingue un État de droit d’une dictature.

Que des enquêteurs du crime organisé de la SQ aient piétiné ces droits constitutionnels est proprement ahurissant. Les policiers savent depuis des décennies que les tribunaux n’ont aucun humour en la matière. Des enquêteurs d’élite qui piétinent ces droits agissent en amateurs.

La suite est sidérante : le procès est allé de l’avant, sans les aveux de Marie-Josée Viau et de Guy Dion.

Résultat ?

Le procès fut une mascarade où tous les participants savaient qu’ils jouaient dans une pièce de théâtre d’été : les avocats de la défense, ceux de la Couronne et le juge lui-même savaient pertinemment que les accusés disaient sous serment devant la Cour tout le contraire de ce qu’ils avaient avoué aux policiers.

Ai-je dit que tous les participants au procès savaient qu’ils participaient à une pièce de théâtre ?

Pardon, c’est inexact : les citoyens du jury qui ont mis leur vie sur pause pendant cinq mois, eux, l’ignoraient !

Comme les aveux du couple Viau-Dion ont été exclus, les jurés ont participé à cette pièce de théâtre d’été dans le rôle du mari cocu. Ciel, mon mari ! Ces pauvres jurés ont écouté des accusés qui, sous serment, leur ont raconté le parfait contraire de ce qu’ils avaient avoué aux enquêteurs.

Dans ce gâchis, les enquêteurs de la SQ sont les premiers responsables. S’ils avaient respecté les droits constitutionnels des accusés, cette mauvaise pièce de théâtre n’aurait jamais eu lieu.

Mais la Justice elle-même a un examen de conscience à faire. Pourquoi permettre un tel dîner de cons où tout le monde dans la salle sait que les accusés disent sous serment le contraire de ce qu’ils ont avoué ?

Je pense être la proverbiale « personne raisonnable » à laquelle les juges font référence quand ils justifient certaines de leurs décisions. Par exemple, quand les juges disent qu’une « personne raisonnable » pourrait perdre confiance dans l’administration de la justice si telle ou telle décision était prise dans le cadre d’un procès…

Je pense être cette personne raisonnable : je ne veux pas que tous les accusés soient pendus par les couilles, je veux que les règles de droit soient respectées, je veux que la Couronne joue franc jeu avec la défense et que la police obtienne ses preuves de façon légitime.

Et, oui, qu’on laisse s’échapper des coupables plutôt que de condamner des innocents.

C’est cette personne raisonnable qui, aujourd’hui, trouve que le jury du procès Viau-Dion a été cocufié. J’aurais préféré un arrêt du processus judiciaire à cette mascarade.

Les juges se gargarisent régulièrement du concept de « confiance dans l’administration de la justice », c’est très important pour eux. Ils y reviennent souvent : il ne faudrait surtout pas que la « personne raisonnable » perde confiance dans l’administration de la justice, eh la la, Dieu nous en garde…

Si les juges estiment que le procès Viau-Dion n’endommage pas la confiance du public dans l’administration de la justice, je pense qu’ils se font une drôle d’idée du public.

Parlant de confiance

On jasera une autre fois des nombreuses bourdes de la Sûreté du Québec en matière de lutte contre le crime organisé, ces dernières années. Pour l’espace de cette chronique, le simulacre de justice que fut le procès Viau-Dion suffit, la cour (oups !) est pleine.