Le lundi 8 août, des agents du FBI débarquent au domaine Mar-a-Lago de Donald Trump et récupèrent des documents inhérents à sa présidence qui auraient dû être versés aux Archives nationales américaines. Qu’en est-il des archives des anciens premiers ministres du Canada et du Québec ? La Presse s’est intéressée à la question.

Au Canada aussi, il y a des règles

Au lendemain de la perquisition faite par le FBI à Mar-a-Lago pour récupérer des boîtes de documents réclamées par les Archives nationales américaines, les archivistes québécois ont vécu un moment de joie.

« L’histoire a beaucoup fait jaser et surtout fait rire nos membres », dit Julien Bréard, président de l’Association des archivistes du Québec, qui compte quelque 600 membres. « Dans nos groupes de discussion, les gens disaient : “Enfin, on parle de nous !”, “Enfin, on dit que les archives, c’est important !” »

Les archives, qu’elles soient politiques, économiques, généalogiques, culturelles, sportives, médicales, constituent la mémoire d’un peuple. Dans cette optique, les archives des dirigeants directement liées à leur travail permettent de mieux comprendre l’évolution d’un pays, d’une province, d’une ville. Leur protection, leur gestion et leur préservation sont à l’avenant.

Les Américains l’ont appris avec la saisie de Mar-a-Lago. Or, au Canada comme au Québec, les archives des premiers ministres sont aussi encadrées par des règles, bien que moins contraignantes.

« Dans le système canadien, le premier ministre est “premier parmi ses pairs”. Il n’est pas “élu premier ministre” et n’a pas le même statut qu’un président aux États-Unis, indique Audrée Tanguay, de Bibliothèque et Archives Canada. Le Canada n’a pas de loi spécifique quant aux documents des premiers ministres, comme le Presidential Records Act américain » (voir autre texte).

Pas de loi mais des obligations, qui s’étendent aussi aux ministres. Ceux-ci reçoivent, à leur cabinet, des documents classés en quatre catégories : gouvernementaux, ministériels, « personnels et politiques » et du cabinet.

PHOTO STEVE HELBER, ASSOCIATED PRESS

Vue aérienne du domaine Mar-a-Lago, en Floride, où l’ancien président Donald Trump détenait des boîtes d’archives réclamées par les Archives nationales des États-Unis.

Les documents gouvernementaux (notes d’information, rapports ministériels, cahiers de transition, discours), comprenant ceux dits « secrets » ou « top secrets » et des documents du cabinet (mémoires, rapports des comités, comptes rendus des décisions, etc.), doivent être remis au gouvernement du Canada. Les documents personnels et politiques (relatifs au parti) sont privés. Le premier ministre a le choix ou non de les verser aux archives.

Enfin, les documents ministériels (notes de breffage annotées, courriels, certains dossiers administratifs, etc.) sont régis par la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada. « Leur élimination ou aliénation est subordonnée à l’autorisation écrite du bibliothécaire et archiviste du Canada », poursuit Mme Tanguay.

À Québec

Le Québec a de son côté une Loi sur les archives dont les articles régissent le traitement des documents des organismes publics : gouvernement, Assemblée nationale, ministères, etc. De fait, les individus sont concernés.

Il est important de départager l’information qui est publique de celle qui est privée. Les mémoires, documents du Conseil des ministres, analyses des comités ministériels et délibérations du Conseil des ministres sont publics. Le premier ministre ne peut partir avec ces documents.

Christian Drolet, archiviste-coordonnateur à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ)

Les documents de nature privée restent en possession du premier ministre qui en dispose comme il veut. « Si, par exemple, le premier ministre écrit, de son bureau, une lettre personnelle à quelqu’un de son parti, c’est de nature privée », poursuit M. Drolet.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Photo entourant la création de la pièce de théâtre Princesse à marier, de René Lévesque. De gauche à droite : Christo Christy, Francine Bordeaux, Lucien Côté et René Lévesque.
Photo de William, Bertram Edwards, fonds René Lévesque, BAnQ, P18, S1, SS4, SSS2, D27

Par contre, la correspondance du premier ministre, qui reçoit des centaines de lettres, est gérée comme étant publique, dit M. Drolet.

Les archives ne sont pas accessibles du jour au lendemain. D’abord, parce qu’il faut les traiter. Et parce que certains sujets sont sensibles ; on laisse la poussière retomber. Elles sont alors interdites d’accès pour des périodes variables. Ainsi, les mémoires des délibérations des conseils des ministres sont déclassifiées après 25 ans.

« Les archives publiques du premier ministre sont d’abord gérées par le ministère du Conseil exécutif [le ministère du premier ministre], poursuit Christian Drolet. Les documents sont conservés dans des centres et considérés comme semi-actifs. Une fois la période de restriction terminée, ils sont remis à BAnQ. »

Il est possible, pour le public, de consulter en ligne, sur la page du ministère du Conseil exécutif, les mémoires déclassifiés des 18 derniers mois concernés. Ainsi, le plus récent date de mai 1997.

Les villes ont aussi des obligations, dit le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation. Le greffier ou greffier-trésorier des cités et villes a « la garde de tous les livres, registres, plans, cartes, archives et autres documents et papiers qui sont la propriété de la municipalité ou qui sont produits, déposés et conservés dans le bureau de la municipalité ».

Vers une modernisation

Adoptée en 1983, la Loi sur les archives du Québec doit être « modernisée », indique Christian Drolet. Le passage à la numérisation est au cœur des discussions.

Ce qui alimente nos réflexions et qui n’a pas encore été pris en compte, ce sont les messages par textos, Messenger et Twitter. La gestion documentaire encourage les premiers ministres et ministres à parler par voix officielles (lettres, courriels). On ne les encourage pas à utiliser un texto à des fins officielles.

Christian Drolet, archiviste-coordonnateurà Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ)

PHOTO FOURNIE PAR L’ASSOCIATION DES ARCHIVISTES DU QUÉBEC

Julien Bréard, président de l’Association des archivistes du Québec

« L’actuelle loi est encore très papier alors qu’aujourd’hui, 95 % de l’information est numérique, confirme Julien Bréard. Avec le numérique, plus de documents sont créés et il y a donc plus d’information à conserver, structurer, ordonner, indexer. Cette conservation passe par la nécessité de s’assurer que les systèmes informatiques vont être capables de lire les documents créés il y a quelques années. »

PHOTO CHARLIE MAHONEY, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

L’entrée de la bibliothèque présidentielle John F. Kennedy, à Boston

Deux lois et des bibliothèques présidentielles

Aux États-Unis, les archives des présidents sont considérées comme publiques et encadrées par le Presidential Records Act (PRA) et le Presidential Library Act (PLA). La National Archives and Records Administration (NARA) et les bibliothèques présidentielles travaillent en collaboration pour leur application.

Adoptée en 1978, la PRA est de toute première importance. C’est par celle-ci que la propriété légale des archives officielles d’un président est passée de privée à publique, et ce, à compter du 20 janvier 1981, date d’entrée en fonction de Ronald Reagan, 40e président américain (1981-1989).

La loi s’étend aussi aux archives des vice-présidents, traitées de la même manière.

Les bibliothèques et musées présidentiels sont par définition (mais non par obligation, voir plus bas) les dépôts des papiers, archives et documents historiques des présidents américains. Ils sont encadrés par la PLA adoptée en 1955. Au départ, cette loi « encourageait » les anciens présidents à donner leurs archives au gouvernement. Elle a été modernisée en 1986.

« Les Archives nationales jouent un rôle clé dans le transfert physique de centaines de millions de documents textuels, électroniques, audiovisuels et d’artefacts de la Maison-Blanche vers la future Bibliothèque du président sortant », nous indique le service des communications de la NARA dans un échange de courriels.

Les Archives nationales prévoient également le transfert de la garde légale de ces documents à la fin d’une administration, la prise en charge de ces documents et le développement de la bibliothèque elle-même.

Le service de communications de la National Archives and Records Administration (NARA)

En aparté à ces deux lois, le Congrès américain a adopté en 1974 le Presidential Recordings and Materials Preservation Act (PRMPA) relatif aux documents du Watergate et aux enregistrements secrets dans la Maison-Blanche sous Richard Nixon.

« La PRMPA indique que les documents pertinents à la compréhension de l’abus de pouvoir gouvernemental et du Watergate doivent être traités et rendus publics avant la publication de tous les autres documents », lit-on sur le site de la NARA.

IMAGE ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

En septembre 2020, la Fondation Richard Nixon a rendu publique une correspondance entre ce dernier et Donald J. Trump. Les lettres entre les 37e et 45e présidents américains ont été exposées à la bibliothèque présidentielle Richard Nixon de Yorba Linda, en Californie.

Grâce à Franklin Roosevelt

Les bibliothèques et musées présidentiels sont créés dans la foulée d’une initiative du président Franklin D. Roosevelt (1933-1945) qui, en 1939, décide de donner ses papiers au gouvernement fédéral. Dans la foulée, il donne une partie de sa propriété de Hyde Park, dans l’État de New York, pour la construction d’un édifice ouvert au public et abritant ses archives et artefacts.

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le président Franklin D. Roosevelt, en juillet 1933

Son successeur Harry S. Truman (1945-1953) emboîte le pas en 1955 et fait construire sa bibliothèque. Au même moment, des amis du président Herbert Hoover (1929-1933) décident de faire la même chose. Le mouvement est lancé. Depuis, des bibliothèques présidentielles ont été construites pour tous les présidents sortants.

Celles-ci sont aménagées sur des lieux très significatifs pour chaque président ou sur le campus d’une université de leur État. Les présidents et leur femme y sont parfois inhumés à leur mort, comme dans le cas de Richard Nixon et de Ronald Reagan.

PHOTO ALLISON V SMITH, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Le centre présidentiel George W. Bush, à Dallas, au Texas, qui compte une bibliothèque et un musée, a été inauguré en avril 2013.

Au total, il existe 15 bibliothèques présidentielles, dont 2, celles des présidents Obama et Trump, n’ont pas encore été construites mais ont leur site web.

Le cas de Barack Obama est particulier. L’Obama Presidential Center sera construit à Jackson Park, dans le quartier South Side de Chicago. Par contre, ce centre sera privé et aucunement géré par la NARA. Les deux entités collaborent toutefois à la numérisation de tous les documents déclassifiés pour les rendre accessibles en ligne. Les originaux seront évidemment conservés par la NARA dans un lieu déjà existant alors que les documents classifiés ont été déposés dans les locaux de la NARA à College Park, au Maryland.

Donald Trump ? Les documents déclassifiés relatifs à son administration ne seront pas accessibles dans les cinq années suivant son départ de la présidence, comme le prévoit la PRA. Ils le deviendront le 20 janvier 2026. Quant au lieu où sera construit un édifice abritant ses documents et souvenirs, les paris sont ouverts !

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Accompagnée d’une photo, une lettre écrite par Jacques Parizeau à ses parents au cours d’un voyage en Gaspésie dans la deuxième moitié des années 1940

Qui a donné ses archives ?

Au-delà des obligations liées à leurs fonctions, quels premiers ministres canadiens et québécois ont donné leurs archives, publiques ou personnelles, à BAC et BAnQ au fil des ans ? Réponse : à peu près tous.

« Les gens sont très fiers de faire un legs. C’est leur mémoire. C’est leur héritage », dit Christian Drolet, archiviste-coordonnateur à BAnQ, où il travaille depuis 21 ans. « Et ça se fait rapidement. Lorsqu’un premier ministre part, nous pouvons recevoir un appel de son personnel politique la semaine suivante. »

M. Drolet précise que le Québec compte 31 anciens premiers ministres (François Legault, en fonction, est le 32e premier ministre du Québec), dont 5 ont fait deux passages à des moments séparés, tel Robert Bourassa. De ces 31 anciens dirigeants, 23 ont remis leur fonds d’archives à BAnQ. Tous les récents premiers ministres ont remis leur fonds, dit M. Drolet.

Deux exceptions d’importance. Maurice Duplessis a remis ses archives au Séminaire de Trois-Rivières (BAnQ a une version numérique complète) alors que Daniel Johnson père a laissé peu de documents (un fonds existe au Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe). BAnQ indique aussi qu’elle possède les archives de Daniel Johnson fils et est en négociation pour l’acquisition de celles de Pierre Marc Johnson.

À Ottawa, tous les premiers ministres ont donné leurs archives à BAC à l’exception de R. B. Bennett et de John G. Diefenbaker, qui les ont remis à l’Université du Nouveau-Brunswick (Bennett) et de la Saskatchewan (Diefenbaker). BAC possède néanmoins des copies.

Certains fonds (Pierre Elliott Trudeau, Brian Mulroney, Jean Chrétien) comptent des centaines de mètres de documents textuels, des dizaines de milliers de photos et des milliers d’heures d’enregistrements sonores et visuels !

  • À la Ville de Montréal, les archives de Jean Drapeau sont ouvertes au public depuis octobre 2019.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

    À la Ville de Montréal, les archives de Jean Drapeau sont ouvertes au public depuis octobre 2019.

  • À la Ville de Montréal, les archives de Jean Drapeau sont ouvertes au public depuis octobre 2019.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

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À Montréal, Jean Drapeau a remis toutes ses archives à la Ville. Elles sont devenues accessibles en octobre 2019, 20 ans après la mort de M. Drapeau. Gérald Tremblay a amorcé le versement des siennes, indique aussi Hugo Bourgoin, relationniste médias au Service de l’expérience citoyenne et des communications. « La Ville dispose par ailleurs de certains documents ayant appartenu à Camillien Houde et à Sarto Fournier », ajoute-t-il.

À Québec, quelques maires ont légué leurs archives personnelles à la Ville, dont Gilles Lamontagne, Jean Pelletier et Jean-Paul L’Allier.