Les résidences étudiantes débordent. Les logements à louer s’envolent aussitôt affichés sur le marché. Couvents, hôtels, résidences pour aînés : aucune solution n’est écartée pour trouver un toit aux étudiants à quelques semaines de la rentrée.

« Les logements partent plus vite que jamais »

« Des appels, je n’en pouvais plus. Ça pleurait au téléphone. Les gens me suppliaient de les prendre », raconte Sylvie Carrier.

Cet été, l’intervenante sociale a eu l’idée de louer des chambres à des étudiantes chez elle, à Trois-Rivières.

Pendant des jours, le téléphone n’a pas arrêté de sonner. Au bout du fil, des étudiants désespérés de trouver un toit abordable – ou un toit tout court.

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Sylvie Carrier, résidante de Trois-Rivières qui héberge des étudiantes

C’était triste de voir ça. Le problème, c’est le manque de place. Et les prix, aussi.

Sylvie Carrier

Un peu partout au Québec, le manque de logements étudiants est à un point critique.

Si bien que de nombreux acteurs du milieu réclament une stratégie nationale pour s’attaquer à la crise.

« On entend chaque année, mais de plus en plus, des histoires d’étudiants qui sont forcés d’habiter à l’hôtel ou sur un divan pendant des mois », constate Laurent Levesque, directeur général et cofondateur de l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE).

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L’Université du Québec à Trois-Rivières

À Trois-Rivières, où le taux d’inoccupation est inférieur à 1 %, c’est le scénario qu’on tente par tous les moyens d’éviter.

« Actuellement, c’est très difficile », confirme Catherine Therrien, directrice adjointe des services aux étudiants à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Pour loger tout le monde, les universités et les cégeps doivent être créatifs. Et mettre en place des solutions de secours (voir le second article ci-bas).

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Catherine Therrien, directrice adjointe des services aux étudiants à l’Université du Québec à Trois-Rivières

C’est beaucoup de travail pour aller chercher une chambre par-ci, une chambre par-là […]. On se doute que ce n’est pas suffisant pour loger tout le monde.

Catherine Therrien, directrice adjointe des services aux étudiants à l’UQTR

Avec près de 25 % de sa population formée d’étudiants, Sherbrooke est aussi frappée par la crise.

« Cette année, les logements partent plus vite que jamais », constate Marc-Antoine Bolduc, vice-président aux affaires externes de la Fédération étudiante de l’Université de Sherbrooke.

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Campus de l’Université Sherbrooke

Un peu plus de 100 étudiants étrangers étaient toujours en quête d’un logement à la fin de juillet, selon un sondage mené par l’Université.

« Cette situation est l’une des plus stressantes que j’ai eues à vivre », confie Izzy Pepper.

Depuis juin, l’étudiante anglaise répond à toutes les annonces de logement à Sherbrooke, sans succès. Or, voilà que le compte à rebours de la rentrée est lancé. Et Izzy doit songer à un plan B.

« Je louerai un Airbnb si je ne trouve rien », lâche celle qui étudie en français langue seconde.

Le même scénario se joue aussi à Gaspé, à Chicoutimi, à Rouyn-Noranda ou encore à Rimouski.

« C’est très, très difficile de trouver quelque chose d’abordable ou de trouver quelque chose, point », constate Maya Labrosse, présidente de la Fédération étudiante collégiale du Québec.

Pas de place en résidence

Le manque de logements n’est pas le seul obstacle : la flambée des prix des loyers aussi – en particulier à Montréal.

« Les étudiants n’ont pas le choix de s’excentrer ou vont bien au-delà du budget qu’ils auraient souhaité consacrer à leur logement », remarque Laurent Levesque.

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Logements pour étudiants sur le campus de l’Université du Québec à Trois-Rivières

Et les résidences étudiantes, qui ont l’avantage d’être très abordables, sont pleines à craquer.

À l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), près de 100 étudiants attendent une place en résidence.

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Jean-François Ouellet, directeur des services à la communauté étudiante à l’UQAR

Ce qu’on entend, c’est que certains étudiants ne sont pas encore sûrs de pouvoir procéder à leur inscription parce qu’ils n’ont pas à ce jour trouvé un logement.

Jean-François Ouellet, directeur des services à la communauté étudiante à l’UQAR

Bon an, mal an, les résidences du réseau de l’Université du Québec réussissaient à accueillir tous les étudiants inscrits sur leurs listes d’attente avant la rentrée.

« Cette année, on fait face à une autre situation. La tendance, c’est que les listes d’attente stagnent », confirme Jean-Sébastien Gohier, directeur des ressources matérielles et immobilières et du bureau de projets immobiliers à l’Université du Québec.

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Le pavillon des sciences du cégep Trois-Rivières

Au cégep de Trois-Rivières, tous les étudiants sont logés jusqu’à présent. Mais là aussi, les places en résidence sont convoitées.

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Janie Trudel-Bellefeuille, coordonnatrice du bureau international du cégep de Trois-Rivières

« Les étudiants restent plus longtemps en résidence, parce que les coûts ont augmenté et qu’il y a moins d’options. Ça libère moins de places pour les nouveaux », remarque Janie Trudel-Bellefeuille, coordonnatrice du bureau international du cégep.

« Un enjeu d’équité »

« On a fait l’erreur au Québec, dans les dernières décennies, d’oublier le logement étudiant », déplore Laurent Levesque.

Et ceux qui écopent, ce sont les étudiants, qui, souvent, n’ont pas le choix de quitter le domicile familial pour étudier, rappelle l’UTILE.

D’où l’urgence de s’attaquer au problème de front. Et dès maintenant.

« Il y a un enjeu d’équité d’accès à l’enseignement postsecondaire », plaide M. Levesque.

Cégeps et universités jouent de créativité

Le compte à rebours de la rentrée est lancé. Pour dénicher des logements, les universités et les cégeps doivent être créatifs.

Résidences pour aînés, monastères, pensionnats : l’Université du Québec à Trois-Rivières n’exclut aucune idée pour trouver un toit à ses étudiants.

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Le centre-ville de Trois-Rivières

« Il faut être original dans nos démarches », fait valoir Jean-François Hinse, responsable des relations avec les médias de l’université.

Aucune entente n’a été conclue pour l’instant, mais des négociations sont en cours, précise-t-il.

« On est à la recherche de volume. Mais il faut que les installations répondent aux besoins des étudiants. On se fait un devoir d’aller visiter sur place », souligne M. Hinse.

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L’Université du Québec à Trois-Rivières

Au Cégep de la Gaspésie et des Îles, une entente de trois ans a été conclue en juin pour loger des étudiants dans un hôtel de Carleton-sur-Mer.

Personne ne se retrouvera à la rue, assure Marie-Claude Deschênes, porte-parole du Regroupement des cégeps de régions.

On a de la place pour loger les étudiants. J’ai vu des solutions très créatives pour la rentrée : des ententes avec des hôtels, des familles d’accueil, des résidences pour aînés.

Marie-Claude Deschênes, porte-parole du Regroupement des cégeps de régions

Depuis plusieurs semaines, les universités multiplient les appels à la population pour héberger des étudiants ou encore tiennent à jour des listes de logements disponibles.

Des solutions viables

Les hôtels et les couvents peuvent dépanner, mais il faut aussi des solutions viables, plaident des acteurs du milieu. Et une stratégie nationale pour s’attaquer à la crise.

L’urgence est d’autant plus grande qu’une vague de dizaines de milliers d’élèves supplémentaires est attendue sur les bancs des cégeps d’ici 2029.

Pour désengorger les cégeps des grands centres, qui seront les plus affectés, Québec veut attirer 5000 élèves en région d’ici 5 ans par l’entremise de son programme de mobilité étudiante Parcours.

« L’étranglement, on le vit même sans la mise en place de ce programme-là, qui est d’ailleurs une excellente nouvelle », affirme Jean-François Ouellet, directeur des services à la communauté étudiante à l’Université du Québec à Rimouski.

Pour répondre à la future demande, l’établissement espère obtenir le feu vert du Québec pour le financement d’un projet d’immeuble qui pourrait loger 100 étudiants.

Bernard Tremblay, président de la Fédération des cégeps, est du même avis.

Plusieurs cégeps ont interpellé le gouvernement pour dire qu’il faut bâtir de nouvelles résidences.

Bernard Tremblay, président de la Fédération des cégeps

Au ministère de l’Enseignement supérieur, 58,9 millions de dollars ont été réservés à la construction, au réaménagement et à la rénovation de résidences étudiantes pour les cégeps de région, indique par courriel une porte-parole, Esther Chouinard.

Les cégeps de la Gaspésie et des Îles, de l’Abitibi-Témiscamingue, de La Pocatière et le collège d’Alma sont notamment concernés par des projets de construction ou d’acquisition de résidences étudiantes, ajoute-t-elle.

« Drapeau rouge »

L’organisme UTILE mise plutôt sur la construction de logements spécifiquement destinés aux étudiants. Son plus récent projet, La Rose des vents, situé dans l’écoquartier Angus, a accueilli cet été ses premiers résidants.

À l’aube des élections provinciales, l’organisme demande aux partis de s’engager à construire au moins 15 000 chambres étudiantes d’ici 10 ans, ce qui représente « 5 % de la demande », illustre Élise Tanguay, directrice des affaires publiques de l’UTILE.

« Ça serait un premier pas pour démontrer qu’il y a un drapeau rouge qui s’est levé. Il faut prendre ce problème à bras le corps, parce qu’on s’en va droit dans le mur. En fait, on est dans le mur », conclut-elle.

En savoir plus
  • 590 $
    Loyer pour un studio tout inclus en résidence étudiante à l’Université du Québec à Montréal
    Source : Université du Québec à Montréal
    1140 $
    Loyer moyen d’un logement disponible à la location à Montréal en 2021
    Source : Communauté métropolitaine de Montréal