On prédisait leur mort avec l’arrivée du livre numérique et d’Amazon. Elles sont plus vivantes que jamais. Les bibliothèques publiques d’aujourd’hui sont d’immenses agoras qui attirent de plus en plus de visiteurs. Pas seulement à New York, Helsinki, Paris ou Binhai, en Chine. Au Québec aussi.

Au cours des 10 dernières années, plusieurs ont fait leur apparition à Québec et à Montréal, notamment à Saint-Laurent et à Lachine, mais aussi à Drummondville, Blainville et Varennes. Ces bibliothèques publiques n’ont rien à voir avec celles du passé. Véritables joyaux architecturaux, elles abritent des espaces pour les adolescents, des salles de cinéma, des centres d’exposition, des cafés et plus encore.

PHOTO FOURNIE LA VILLE DE MONTRÉAL

La Bibliothèque du Boisé, à Saint-Laurent, a remporté le Grand Prix d’excellence en architecture décerné par l’Ordre des architectes du Québec.  

La Maison de la littérature, aménagée dans une ancienne église de style néogothique, est la plus « instagrammable » du Québec. Et la Bibliothèque du Boisé a remporté le Grand Prix d’excellence en architecture décerné par l’Ordre des architectes. C’est la première bibliothèque certifiée LEED Platine au Canada. Celle de Varennes est le premier bâtiment institutionnel de conception nette zéro au Québec.

Bon nombre de ces nouveaux lieux offrent des espaces de travail partagé gratuits. On n’y trouve plus seulement des livres, mais des imprimantes 3D, des ateliers virtuels, des laboratoires de création d’art numérique, des espaces de jeu, des cours de codage, des studios de diffusion et des lieux de formation.

Selon Tony Marx, PDG du réseau de bibliothèques publiques de New York, le plus gros des États-Unis, les bibliothèques sont l’un des endroits qui sauvent la démocratie !

Elles attirent des foules toujours plus nombreuses, sont accessibles à tous et gratuites.

En 2014, Halifax s’attendait à accueillir 900 000 personnes par an dans sa toute nouvelle bibliothèque ; il en est venu 1,9 million. Deux fois plus que la population de la ville.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

La Grande Bibliothèque de Montréal

De son côté, Ottawa prévoit que le nombre de visiteurs de sa bibliothèque centrale passera de 37 000 à 1,7 million par an, en 2024, avec l’ouverture du nouvel édifice. À Montréal, la Grande Bibliothèque, qui, en 2005, a fait entrer le Québec dans ce club sélect des superbibliothèques, attire 2,2 millions de personnes par année.

Égalité pour tous

« Dans une bibliothèque, tout le monde est égal », observe Leslie Weir, bibliothécaire et archiviste du Canada, et première femme à occuper ce poste depuis que la Bibliothèque et les Archives nationales du Canada ont fusionné pour donner naissance à Bibliothèque et Archives Canada, en 2004.

Les lieux gratuits où on n’attend rien de vous sont rares. Il n’y en a pas beaucoup dans les municipalités. Les bibliothèques publiques s’adressent à toutes les clientèles : des bébés aux personnes âgées.

Ève Lagacé, directrice générale de l’Association des bibliothèques publiques du Québec

Guylaine Beaudry, bibliothécaire en chef de la bibliothèque Webster de l’Université Concordia, avoue s’inspirer des bibliothèques publiques, où la notion de communauté est à l’avant-plan.

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ CONCORDIA

La bibliothèque Webster de l’Université Concordia

Ouverte 24 heures sur 24, sept jours sur sept, « Webster est aussi un lieu où on exprime le vivre-ensemble », dit-elle. Cette bibliothèque universitaire a été entièrement rénovée et agrandie, de 2015 à 2018, au coût de 37 millions.

Des livres plus discrets

Dans beaucoup de ces bibliothèques, les livres laissent place à d’autres usages. Ils ne disparaissent pas, mais se font plus discrets.

« Il y a moins de livres et plus d’espaces lumineux pour les gens qui vont consulter les livres », explique Stephan Chevalier, de la firme d’architectes Chevalier Morales, qui a réalisé moult bibliothèques, dont La Maison de la littérature, la Bibliothèque de Drummondville, la Bibliothèque de Pierrefonds et la bibliothèque Saul-Bellow, à Lachine.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

La Bibliothèque de Pierrefonds

On peut créer des contenus, il y a des médiathèques, des salles d’écriture. Dans nos bibliothèques, il y a aussi de quoi manger et des cafés, pas juste des livres. C’est un lieu de rencontres, de socialisation.

Sergio Morales, de la firme d’architectes Chevalier Morales

Le Québec est au premier plan du changement qui s’opère dans les bibliothèques publiques, croient Stephan Chevalier et Sergio Morales. « Le reste du Canada regarde ce qui se fait ici. Les petites bibliothèques sont devenues de réels laboratoires. »

Question de confiance

Selon un sondage mené par le centre de recherche Pew, en 2016, aux États-Unis, 66 % des gens pensent que la fermeture de leur bibliothèque publique aurait une incidence majeure sur leur communauté. Un pourcentage équivalent estime que les bibliothèques contribuent à l’esprit communautaire en fournissant un lieu sûr où se réunir, travailler ou flâner.

« On a parfois l’impression que les milléniaux ne lisent pas, mais c’est faux. Ils lisent plus que leurs parents. C’est la génération qui visite le plus les bibliothèques de tous les temps », affirme la bibliothécaire et archiviste du Canada Leslie Weir. « Pourtant, cette génération est née dans un monde numérique. »

Quelques-uns des établissements les plus créatifs du Québec et d’ailleurs

HUNTERS POINT LIBRARY, À NEW YORK

PHOTO FOURNIE PAR STEVEN HOLL ARCHITECTS

Bibliothèque Hunters Point, à New York

Ouverte le 24 septembre 2019, la bibliothèque Hunters Point est l’un des plus beaux édifices publics que New York a produits au cours des 100 dernières années, selon le New York Times. Le bâtiment de 2044 mètres carrés a été érigé dans Queens au coût de 41,5 millions US (55 millions CAN). Il épouse la forme d’un bloc de béton, percé de formes irrégulières en verre et en métal. À l’intérieur, on y trouve 50 000 livres, des collections en espagnol et en chinois, mais aussi un auditorium, un centre d’éducation sur l’environnement, un étage voué aux jeux vidéo, un café et une terrasse sur le toit.

BIBLIOTHÈQUE DE DRUMMONDVILLE

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA VILLE DE DRUMMONDVILLE

Bibliothèque de Drummondville

La Bibliothèque de Drummondville a été inaugurée en 2017 et réalisée par Chevalier Morales, en consortium avec DMA architectes. Elle a reçu, en 2019, le Grand Prix d’excellence en architecture de l’Ordre des architectes du Québec. Depuis son ouverture, le nombre de ses abonnés a fait un bond de 71 %. L’édifice contemporain abrite la Société d’histoire et la Société de généalogie de Drummond, un café et plusieurs bureaux de services de l’administration municipale, en plus de la bibliothèque. Une salle multifonctionnelle, aménagée en son centre, peut accueillir une centaine de personnes.

LA MAISON DE LA LITTÉRATURE, À QUÉBEC

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

La Maison de la littérature, à Québec

La Maison de la littérature, couronnée elle aussi d’un prix d’architecture, a élu domicile en octobre 2015 dans l’ancien temple Wesley, construit en 1848 dans le Vieux-Québec. On y trouve des rayonnages, bien sûr, mais aussi un bistro, des salles d’écriture et de lecture, un studio de bande dessinée, un espace de création littéraire, une résidence d’écrivains aménagée dans une annexe contemporaine et une exposition sur la littérature québécoise. Élégante et intemporelle, elle est baignée de lumière naturelle, et la blancheur de sa nef crée un sentiment de calme.

CALGARY NEW LIBRARY

PHOTO JEFF MCINTOSH, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La nouvelle bibliothèque de Calgary

Le bâtiment de la nouvelle bibliothèque de Calgary, ouverte en 2018, est tout simplement spectaculaire : il enjambe une voie de chemin de fer au cœur de la ville. Réalisé par les architectes de la firme américano-norvégienne Snohetta, il occupe une superficie de 22 000 mètres carrés sur quatre étages. Il s’agit du plus gros investissement public local réalisé depuis les Jeux olympiques de 1988. Coût : 245 millions. Selon le magazine Architectural Digest, c’est l’une des nouvelles bibliothèques les plus futuristes au monde. Elle contient deux cafés, un centre pour adolescents, un espace pour enfants, un théâtre de 320 places, une grande salle de lecture, des studios pour la création de vidéos et d’émissions balados.

BIBLIOTHÈQUE MONIQUE-CORRIVEAU, À QUÉBEC

PHOTO DAN HANGANU ET CÔTÉ LEAHY CARDAS ARCHITECTES

Bibliothèque Monique-Corriveau, à Sainte-Foy

L’église Saint-Denys-du-Plateau de Sainte-Foy est devenue, en 2013, un lieu de culture et de rencontres : la bibliothèque Monique-Corriveau. Récompensés aux Grands Prix du design, en 2016, les architectes responsables de sa transformation et de son agrandissement, Dan Hanganu et la firme Côté Leahy Cardas, ont su en faire une bibliothèque du XXIe siècle. L’édifice occupe une superficie de 4400 m2 sur trois étages. Il abrite une ludothèque, un café, une salle multimédia, un mur numérique, des consoles de jeux vidéo, de nombreuses salles de lecture et de formation.