Moins de 10 % de la population de la planète vit aujourd’hui dans des pays où les journalistes peuvent exercer leur profession dans de « bonnes » conditions, prévient Reporters sans frontières (RSF).

La situation est « extrêmement préoccupante » tant pour la communauté journalistique que pour la population en général, a souligné hier l’organisation à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse.

« Aucun des grands problèmes de l’humanité ne saurait être réglé sans information libre, indépendante et fiable, c’est-à-dire sans journalisme de qualité, qu’il s’agisse du réchauffement climatique, de la corruption ou de l’égalité entre les femmes et les hommes », a souligné dans un communiqué le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire.

Le groupe de défense de la liberté de la presse, qui a divulgué il y a quelques semaines la plus récente version de son classement mondial, note qu’on assiste depuis de nombreuses années à une détérioration mondiale des conditions de la pratique journalistique.

11 % : Chute, en cinq ans, de l’indice planétaire de la liberté de la presse, calculé à partir de la situation spécifique de 180 pays

La détérioration de la situation s’explique en partie par la détérioration enregistrée dans des zones normalement plus « vertueuses » sur ce plan, relève RSF.

Régressions nombreuses

Les Amériques ont enregistré un recul important en 2018, marqué notamment par les actes de répression de la part du régime nicaraguayen ainsi que par la situation au Brésil et au Venezuela.

Les États-Unis, où les attaques contre des journalistes se multiplient, ont aussi contribué au recul. RSF note que les journalistes n’ont jamais autant sollicité des firmes privées pour se protéger des menaces. Le Canada est demeuré au même rang dans le classement par rapport à 2018.

L’Europe, qui fait normalement très bonne figure, a aussi enregistré un recul en matière de liberté de la presse. Le meurtre de journalistes d’enquête dans différents pays, les violences lors des manifestations des gilets jaunes en France ainsi que la dérive répressive du régime hongrois de Viktor Orbán sont quelques-uns des facteurs évoqués pour expliquer cette régression.

La situation demeure par ailleurs préoccupante au Moyen-Orient, où maints conflits meurtriers et les politiques répressives d’États comme l’Arabie saoudite et l’Iran ont de lourdes conséquences sur le travail journalistique, comme en témoigne le meurtre du chroniqueur saoudien Jamal Khashoggi.

Quelques pays problématiques

Mexique

Bien que le pays ne soit pas en guerre, il demeure l’un des plus dangereux de la planète pour les journalistes. Cette triste réalité a été mise en relief hier par l’annonce de la mort de Telésforo Santiago Enríquez, abattu dans le sud du pays. L’Agence France-Presse rapporte que le journaliste avait récemment dénoncé publiquement les autorités municipales locales pour « détournement présumé » de fonds publics. Reporters sans frontières (RSF) relève que la collusion entre le crime organisé et certains acteurs politiques et administratifs représente une grave menace pour la sécurité des travailleurs de l’information, particulièrement lorsqu’ils s’attaquent à d’épineux sujets comme la corruption. L’arrivée récente au pouvoir d’Andrés Manuel López Obrador, qui a promis de s’attaquer à cette collusion, laisse espérer que les crimes contre les journalistes ne resteront plus impunis.

Classement RSF : 144 sur 179

Libye

Le travail journalistique en Libye s’avère périlleux depuis l’éclatement en 2011 du conflit qui a mené au départ de Mouammar Kadhafi. Les deux régimes qui s’opposent actuellement pour contrôler le pays n’hésitent pas à s’en prendre aux journalistes responsables d’informations embarrassantes. Deux d’entre eux, qui travaillent pour une chaîne soutenant le régime en place, à Tripoli, ont été arrêtés par des miliciens hostiles jeudi et n’ont pas été vus depuis, selon un communiqué relayé par l’Agence France-Presse. Reporters sans frontières (RSF) relève qu’une vingtaine de journalistes ont été tués depuis huit ans, dans une impunité quasi complète. La situation a précipité un « exode massif » des médias et transformé du même coup le pays en « trou noir de l’information ».

Classement RSF : 162 sur 179

Turquie

Sous la gouverne du président Recep Tayyip Erdoğan, la Turquie est devenue la « plus grande prison du monde pour les professionnels des médias », relève Reporters sans frontières (RSF). L’homme fort du pays a lancé une offensive tous azimuts après le coup d’État raté de 2016 afin d’assurer la mainmise de son régime sur l’information, réduisant dramatiquement le nombre de médias indépendants. Nombre de journalistes, arrêtés et jugés par des tribunaux, se retrouvent aujourd’hui sous le contrôle de l’exécutif, ce qui les prive de tout véritable recours. La Cour constitutionnelle turque a rejeté hier la demande de deux journalistes de renom qui disaient avoir été condamnés injustement à la prison à perpétuité. L’Agence France-Presse rapporte qu’on leur reprochait notamment d’avoir envoyé des messages « subliminaux » appelant au soulèvement à la veille du putsch.

Classement RSF : 157 sur 179

Chine

Le régime de Xi Jinping a recours à la surveillance électronique pour tenir à l’œil l’information qui circule et détecter les personnes qui s’avisent de critiquer le Parti communiste et ses dirigeants. Les médias, tant publics que privés, sont régis par les autorités, qui veillent à écarter toute couverture de sujets potentiellement controversés. Les médias étrangers qui osent écrire sur des sujets potentiellement embarrassants pour le régime sont soumis à de fortes pressions pouvant aboutir à l’expulsion ou au non-renouvellement de leur passeport. Une armée d’employés passe aussi au crible les réseaux sociaux pour y éliminer tout signe de dissidence. Le travail journalistique, dans cet environnement hypercontrôlé, s’avère très périlleux, comme en témoigne la détention actuelle d’une soixantaine de journalistes et de blogueurs.

Classement RSF : 177 sur 179