Un jeune homme d'origine indienne, témoin de la violence conjugale subie par sa mère, vit sous l'emprise d'un syndrome de stress post-traumatique. Sa famille et lui sont menacés d'être expulsés du Canada malgré les risques psychologiques et physiques qu'ils craignent. Leur avocate et des experts dénoncent le manque de considération des services frontaliers face aux enjeux de santé mentale.

Les trois membres de la famille Dhanju sont accablés par la peur. La mère et ses deux fils vivent chaque jour sous la menace d'un renvoi immédiat en Inde, ordonné l'an dernier par l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). L'avis d'expulsion sera exécuté dès que les documents de voyage des enfants, en cours d'acheminement, seront reçus.

« On ne peut pas planifier notre futur, on sait qu'on pourrait être renvoyés n'importe quand », murmure le fils aîné Yuvraj Dhanju. Dans le bureau de l'avocate de la famille, aux côtés de sa mère, le jeune homme a la mine basse et le son de sa voix est difficilement perceptible. Plus il raconte son histoire, plus il lui semble difficile de dire les mots à voix haute. 

« Si on retourne là-bas, nous n'avons plus rien. Il y a des gens qui nous veulent du mal, la famille de mon père veut nous séparer. » - Yuvraj Dhanju

Aujourd'hui âgé de 18 ans, il raconte avoir été témoin durant des années de la violence conjugale infligée par son père à sa mère, qui l'a finalement dénoncé aux autorités montréalaises en 2013.

Au poste de police, on a demandé à Yuvraj de traduire l'abus que sa mère décrivait, car la femme ne parle pas français. Il avait 13 ans. « Je ne voulais pas, mais on m'a dit de le faire, alors j'ai traduit et j'ai dû écrire tout ce qui s'était passé », explique le jeune homme.

Dans les documents de la déclaration de police dont La Presse a obtenu une copie, la calligraphie enfantine de Yuvraj dépeint les événements de janvier 2013, lorsque le mari de Mandeep l'a battue pour obtenir de l'argent afin de s'acheter de l'alcool. Il a également blessé Yuvraj en lui tordant une cheville alors qu'il tentait de s'interposer. Ce soir-là, « pendant que [le père] dormait, à 22 h, nous avons fui la maison », a écrit le garçon à l'époque.

BLÂMÉS PAR LA BELLE-FAMILLE

De confession sikhe, les Dhanju disent avoir été persécutés au Panjab où ils vivaient, car les autorités soupçonnaient le père de la famille de collaborer avec des activistes. Il aurait été arrêté et torturé, puis sa femme aurait également été capturée, violée et battue.

Après être restés cachés plusieurs mois dans un village voisin du leur, les parents ont fui vers le Canada avec leurs deux fils en 2011.

Après avoir été reconnu coupable d'agressions deux ans plus tard, le père a été expulsé du pays. Pendant cette même période, le reste de la famille a vu sa demande d'asile rejetée et, peu de temps après, le père est mort en Inde de cause inconnue.

Depuis, la mère et ses deux fils disent être visés par des menaces des proches du père, en Inde, qui les blâment pour son renvoi du Canada et sa mort.

« Depuis que toutes ces choses se sont passées en même temps, je suis tout le temps anxieux, stressé », dit Yuvraj, qui a dû quitter les bancs d'école après sa 4e secondaire, il y a trois ans, pour travailler à temps plein dans un McDonald's, alors que sa mère peine à obtenir un nouveau permis de travail.

SYNDROME DE STRESS POST-TRAUMATIQUE

Yuvraj est suivi par une pédopsychiatre depuis quelques années. L'équipe Santé mentale jeunesse du CLSC de la Montagne, où il consulte, atteste d'un syndrome de stress post-traumatique résultant des violences dont il a été témoin chez lui.

« Il a de la difficulté à dormir, fait des cauchemars, des crises de colère et manifeste beaucoup d'anxiété et de tristesse. » - La pédopsychiatre Cécile Rousseau et la travailleuse sociale Marie-Hélène Rivest, de l'équipe Santé mentale jeunesse, dans un document adressé aux autorités gouvernementales

D'après leurs observations, ses symptômes ont été « réactivés » depuis que pèse la menace d'être expulsé en Inde et ils s'aggraveraient s'il devait y retourner.

Malgré les témoignages des spécialistes, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) estime que puisque le père est mort, Yuvraj n'a plus à s'en faire. Son anxiété devrait « s'amoindrir », écrit l'agent d'immigration dans la justification du refus de leur deuxième demande de résidence permanente pour considérations d'ordre humanitaire, en 2017.

Le diagnostic des expertes a été mis en doute par l'agent. « Puisqu'un agent d'IRCC sans aucune formation en pédopsychiatrie a remis en question le diagnostic de la pédopsychiatre experte en trauma, une évaluation complémentaire a été effectuée en février 2018 afin de confirmer le diagnostic de stress post-traumatique », explique l'avocate de la famille Dhanju, MCamille Larouche. Il risque toutefois d'être trop tard pour que cette preuve soit considérée pour la nouvelle demande de résidence permanente en cours.

« MANQUE DE SENSIBILITÉ »

Toutes les requêtes présentées aux services frontaliers et à l'IRCC plaidaient le besoin de soutien psychologique et la détresse subie par Yuvraj, son frère et sa mère. Ces arguments, en plus de tous les autres, n'ont jamais suffi, déplore leur avocate.

« Quand il est question de problématiques de santé mentale, on ne veut pas vraiment parler des expertises, ce n'est pas pris au sérieux comme ça le devrait. » - Me Camille Larouche, avocate de la famille Dhanju

Me Larouche dénote « un manque de sensibilité, surtout de la part des services frontaliers ».

« C'est typique des cas de santé mentale, déplore quant à lui Jean-François Plouffe, responsable des communications d'Action autonomie, un organisme de défense des droits des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. Les instances auront toujours tendance à ne pas écouter ce que la personne dit et à prendre les décisions à sa place. »

À COURT DE SOLUTIONS

À ce jour, les Dhanju ont présenté une demande d'asile suivie de trois demandes de résidence permanente pour considérations d'ordre humanitaire. Toutes ont été refusées, et la dernière est encore en cours. Tous les recours offerts à un demandeur d'asile ont été épuisés par la famille, qui envisage maintenant de s'adresser directement au ministre de l'Immigration dans une ultime tentative de faire renverser le jugement.

Le ministère de l'Immigration n'a pas commenté le dossier, stipulant seulement que la demande de résidence permanente de la famille, reçue en mai dernier, était toujours en cours, mais n'empêchait pas le renvoi ordonné par l'ASFC. Les délais pour les demandes sont présentement de 30 mois.

Interrogée par La Presse concernant le poids accordé aux facteurs de santé mentale lors d'une décision de renvoi, l'ASFC a assuré que « la décision de renvoyer une personne du Canada n'est pas prise à la légère ».

« Le meilleur intérêt de l'enfant est pris en compte à tout moment lorsque des personnes sont confrontées à un renvoi du Canada, a également écrit Véronique Lalime, conseillère en communications de l'Agence, dans un courriel. Dans les cas où il est question de problèmes médicaux, les agents de l'ASFC consultent des professionnels de la santé et s'appuient sur leur expertise pour établir et confirmer que la personne est en mesure de voyager sans risque. »

La famille se retrouve acculée au pied du mur devant la menace d'expulsion. Mandeep dit se sentir plus « en paix » au Canada et croit pouvoir survivre ici, alors que seuls des malheurs l'attendent en Inde. « Le gouvernement ne comprend pas, ils ne font rien pour nous, dit-elle à l'oreille de son fils, les larmes aux yeux, dans un ultime cri du coeur. Tout le monde a compris ce qu'on a vécu, sauf l'Immigration. »

RECOURS POUR LES DEMANDEURS D'ASILE

Une personne souhaitant obtenir la protection du Canada doit présenter une demande d'asile à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR). Si la requête est acceptée, le demandeur obtient le statut de « personne protégée ». Si la demande est rejetée et qu'il est sommé de quitter le Canada, le demandeur peut émettre une requête d'examen des risques avant renvoi, qui suspendra l'avis d'expulsion le temps qu'une réévaluation des dangers encourus soit effectuée. Si cette mesure n'aboutit pas, le demandeur d'asile peut demander un contrôle judiciaire à la Cour fédérale du Canada. Cette requête peut être autorisée ou pas. Si la Cour fédérale n'accepte pas de réviser la décision ou la confirme, le demandeur peut ultimement faire appel au ministère de l'Immigration pour plaider son cas et espérer une intervention directe du gouvernement.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Mandeep Dhanju, et ses deux fils, Yuvraj (à gauche) et Dilaksh, sont menacés d'un renvoi immédiat en Inde. L'avis d'expulsion sera exécuté dès que les documents de voyage des enfants, en cours d'acheminement, seront reçus.