Expulsés ou bloqués dans quelques villes de la Montérégie ces dernières années, les Hells Angels de la section South ont réussi à aménager, en douce, un nouveau local typique à Saint-Charles-sur-Richelieu, où ils ont reçu plus de 300 motards du Canada il y a trois semaines, et qui semble vouloir être là pour de bon.

Une audience récente devant la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) pour l'obtention d'un permis visant à servir de l'alcool durant le Canada Run a levé le voile sur la transformation d'une bucolique ferme du 4e Rang Nord en bunker des Hells Angels. 

La Sûreté du Québec savait que la propriété était le local des Hells Angels de la section South et que le Canada Run pourrait s'y tenir. Lorsqu'elle a su que la demande de permis avait été faite par le fils d'un motard - et non par les Hells Angels eux-mêmes -, elle a soupçonné une manoeuvre de « fausse représentation » par l'utilisation d'un prête-nom et s'est opposée à la demande de permis. 

Elle a eu la confirmation que le Canada Run se tiendrait à Saint-Charles-sur-Richelieu lorsque deux membres de la section South des Hells Angels, Gaétan Brisebois et Dean Moore, ont rencontré l'enquêteur expert des motards, Alain Belleau, pour l'aviser officiellement.

Le 6 août dernier, quelques jours avant l'événement, l'enquêteur Belleau, le propriétaire des bâtiments abritant le local des motards, Richard Dion-Lecompte, et le Hells Angel Dean Moore ont témoigné devant deux régisseurs de la RACJ.

C'est plutôt rare qu'un membre en règle des Hells Angels témoigne publiquement. Moore a répondu aux questions portant sur l'organisation de l'événement, sur l'acquisition du local et, étonnamment, sur le fonctionnement des Hells Angels.

VIDER LES CENDRIERS

Depuis la fin des procédures de SharQc, les Hells Angels semblent rechercher la sympathie de la population, et l'audience devant la Régie s'inscrit vraisemblablement dans cette tendance. « Ces gens-là ont décidé de faire une demande pour être en bonne et due forme », a lancé leur avocat, Me Gilles Doré, à l'ouverture de l'audience.

D'emblée, ce dernier a admis que la demande « de permis de réunion pour servir des boissons alcooliques lors d'un événement socioculturel » et pour une fête « en famille et amis » faite par le propriétaire officiel du 3417, 4e Rang Nord à Saint-Charles, Richard Dion-Lecompte, a été effectuée pour le Canada Run des Hells Angels.

M. Dion-Lecompte a témoigné le premier et déclaré qu'il allait s'occuper de la propreté des lieux et vider les cendriers durant le Canada Run. Les régisseurs n'ont toutefois pas trouvé que son rôle était très important en tant que demandeur de permis.

Le témoin a ajouté avoir acquis la propriété le 9 mars 2018 - 10 jours avant une perquisition policière au local - à la demande de son père Robert, pour rendre service à ce dernier. Il a dit ne pas savoir combien la maison avait été payée.

Photo La Presse

Le Hells Angel Dean Moore a expliqué pour sa part qu'avant l'opération SharQc, en avril 2009, les motards avaient de l'argent dans différentes entreprises et certaines de ces sommes et sociétés leur avaient été remises après la fin des procédures. 

Il a raconté que par le biais de l'une de ces entreprises, un homme d'affaires leur devait de l'argent. Cet homme d'affaires a acheté la propriété du 4e Rang à Saint-Charles à une banque en mars dernier et l'a remise aux Hells Angels de la section South, réglant ainsi sa dette. Selon l'acte notarié, la propriété a été achetée 220 000 $, soit le montant du prêt.

UN LOCAL TYPIQUE

Au sujet du local, Dean Moore a admis qu'il s'y trouvait une douzaine de caméras de surveillance et un détecteur de mouvements. Il a toutefois nié que la bâtisse soit fortifiée et abrite une salle de watch (surveillance).

Toutefois, l'enquêteur Alain Belleau, de la Sûreté du Québec, a exhibé une série de photos prises par la police au local le 20 mars dernier, lors d'une perquisition effectuée dans le cadre de l'enquête Objection.

Il a décrit une petite pièce à l'entrée du local, où un membre d'un club-école des Hells Angels se trouvait le matin de la perquisition. Dans cette petite pièce, il y a un moniteur sur lequel apparaissent, en multiplex, les images filmées par les caméras et l'avertisseur du détecteur de mouvements. Lors de la visite des enquêteurs, il y avait aussi un calendrier, qui était en fait un horaire de surveillance, selon M. Belleau, alors que le nom du motard du club-école apparaissait dans la case du jour de la perquisition.

« C'est le garage de la propriété qui est le local des South, indique l'enquêteur de la SQ. Il a été aménagé de la façon traditionnelle des locaux des Hells Angels, avec un bar bien garni, une table de réunion, une télé et deux réfrigérateurs arborant des logos des Hells Angels et Support 81. La salle de watch sert à prévenir les vols, mais également à protéger l'endroit contre les intrusions policières subreptices », a décrit le policier qui a également indiqué que le local était peint en rouge et blanc, les couleurs des Hells Angels. 

À la fin de l'audience, les régisseurs ont rejeté la demande de permis des Hells Angels. Mais dans les faits, il semble que ceux-ci n'avaient pas besoin de faire cette demande, car l'événement s'est déroulé dans un lieu privé et l'alcool n'était pas vendu.

Trois autres Hells Angels de la section South, Robert Lecompte, Éric Bouffard et Gaétan Brisebois, étaient présents dans la salle d'audience, mais ils n'ont pas témoigné.

Dans les jours qui ont précédé le Canada Run, Bouffard et Brisebois ont rencontré les voisins, pour les prévenir et les inviter. Un des voisins se serait présenté au local, avec sa caisse de bière sous le bras, une semaine avant l'événement, s'étant trompé de date.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse postale de La Presse.

Photo Bernard Brault, archives La Presse

Le local du 4e Rang Nord, à Saint-Charles-de-Richelieu

Quelques précisions du Hells Angels Dean Moore

Sur le Canada Run 



• L'événement n'est pas annuel, mais périodique et irrégulier. Il a toutefois eu lieu durant trois années consécutives depuis 2016.

• Tous les membres des Hells Angels du Canada ont contribué à un fonds pour financer l'événement. Ils ont mis chacun 300 $. Si les organisateurs finissent avec un déficit, chaque membre canadien est de nouveau sollicité pour combler la différence.

• L'événement a coûté 150 000 $ au total.

• Les Hells Angels South ont pensé embaucher des gardiens de sécurité pour l'événement, mais ils y ont renoncé, car ils savaient que les policiers «seraient en avant toute la fin de semaine et qu'ils seraient là» s'il arrivait quelque chose, a dit Moore.

• Dean Moore a assuré qu'il y avait aucune consommation de drogue durant l'événement. «On a une moyenne d'âge de 55 ans, nos folies sont faites», a-t-il dit aux régisseurs. 



Sur les Hells Angels en général



• Chez les Hells Angels du Québec et du Canada, il n'y a pas de chef. «C'est démocratique, chaque membre a son droit de parole. C'est un membre, un vote», a-t-il dit.

• Il y a cinq chapitres des Hells Angels au Québec mais la section de Sherbrooke est toujours «sous tutelle, car ils n'ont pas assez de membres pour être un chapitre autonome».

Témoignage de l'enquêteur Alain Belleau

• Le grand rassemblement des Hells Angels tenu en Montérégie en 2008 avant l'opération SharQc n'était pas un Canada Run, mais un événement majeur tenu à l'occasion du 30e anniversaire de l'implantation de ce groupe de motards au Canada.

• Il y a 42 sections des Hells Angels au Canada comptant environ 465 membres, et une soixantaine de prospects et de hang around.

• M. Belleau affirme que la présence des Hells Angels au Canada Run est obligatoire pour tous les membres, mais Me Gilles Doré a émis des doutes lorsqu'il a questionné le témoin.

• La principale source de revenu des Hells Angels est le trafic de stupéfiants.