À la suite d'une intervention de l'ONU, le Canada n'a pas expulsé Hussain Abdullah vers l'Arabie saoudite, hier, où il craint pour sa vie.

« Je ne peux pas vous décrire ce que je ressens, c'est comme la fin d'un cauchemar, comme naître à nouveau. »

Au bout du fil, la voix de Hussain Abdullah est à peine audible. Par moments, elle est étranglée par de brefs sanglots.

Ce Saoudien de 35 ans est passé à un cheveu d'être renvoyé vers son pays natal, où il craint pour sa vie. L'ordre de renvoi devait être exécuté hier matin, après que la Cour fédérale eut rejeté une ultime tentative visant à lui permettre de rester au Canada, auprès de sa femme et de ses deux enfants.

Mais Hussain Abdullah, qui se trouve sous l'autorité du Centre de prévention de l'immigration de Laval, a dû être hospitalisé dans la nuit de mardi à hier. Parallèlement, le Comité des droits de l'homme de l'ONU, qui avait été saisi de son dossier, a appelé le Canada à suspendre son renvoi, le temps d'examiner son cas.

Au moment d'écrire ces lignes, il n'était pas clair si son expulsion avait été stoppée en raison de son état de santé ou en réponse à la demande de l'ONU. Ce qui est clair, en revanche, c'est que le Canada a l'habitude de respecter les requêtes du Comité des droits de l'homme dans ce genre de situation.

« Sauf entre 2013 et 2015, sous le gouvernement de Stephen Harper, le Canada a toujours suivi ces ordonnances », note l'avocat en immigration Stewart Istvanffy, dont le bureau a appelé l'ONU à intervenir pour empêcher le renvoi.

Stress intense

Hussain Abdullah, qui est un membre de la minorité chiite, persécutée en Arabie saoudite, et dont nous avons changé le nom pour des raisons de sécurité, confie avoir commencé à souffrir de douleurs articulaires liées à l'intense stress qu'il ressentait dans les dernières heures avant son départ planifié.

Pour lui, un retour vers le pays qu'il décrit comme le « royaume du silence » équivalait à un arrêt de mort.

Jointe hier matin, sa femme, Marwa Abdullah, était à la fois soulagée et hésitante à croire que son mari avait échappé à l'expulsion. « J'ai peur de m'accrocher à un faux espoir », a-t-elle confié lors d'un entretien téléphonique avec La Presse.

Tous les deux ont confié avoir eu de la peine à comprendre comment le Canada, qui vient d'entrer en conflit diplomatique avec l'Arabie saoudite sur la question des droits de la personne, pouvait en même temps envisager d'y renvoyer Hussain Abdullah. Et ce, d'autant que le royaume wahhabite réprime la minorité chiite : selon Human Rights Watch, les militants chiites risquent d'y être arrêtés, voire condamnés à mort au terme de procès injustes.

DEMANDE REJETÉE

C'est le harcèlement qu'il dit avoir subi de la part des autorités saoudiennes, après avoir critiqué l'intervention de l'Arabie saoudite contre les houthis, minorité chiite au Yémen, qui avait poussé Hussain Abdullah à quitter le pays. Un visa d'étudiant lui a permis d'entrer au Canada, où il a fait une demande d'asile politique en mai 2017.

Quelques mois plus tard, le dessinateur industriel a retiré sa demande d'asile pour pouvoir rentrer en Arabie saoudite, à la demande de sa femme qui dit avoir elle aussi été arrêtée et détenue pendant quelques jours, et qui ne pouvait pas quitter le pays sans lui.

« Quand on m'a arrêtée, on m'a accusée d'être coupable de trahison, comme mon mari. »

La famille a pu ensuite se rendre aux États-Unis, d'où elle est entrée au Canada par le chemin Roxham.

La demande d'asile de Marwa et des deux enfants a été retenue par le ministère de l'Immigration. Mais pas celle de Hussain, le Canada ne permettant pas de présenter une deuxième demande d'asile, surtout après un retour au pays d'origine, qui, aux yeux des autorités canadiennes, prouve que la personne concernée n'y est pas en danger et n'a pas besoin de protection.

Les avocats de Hussain Abdullah misaient sur la démarche devant la Cour fédérale, à laquelle ils avaient demandé de suspendre l'ordonnance de renvoi rendue par l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

Celle-ci avait jugé que les craintes de persécution et de torture de Hussain Abdullah n'étaient pas documentées, notamment en l'absence de rapports policiers à son sujet.

« Mais personne n'a jamais vraiment examiné sa demande », souligne une autre avocate dans le dossier, Perla Abou-Jaou.

Le juge Roger Lafrenière a cependant rejeté la demande de sursis.

Estimant que la décision de renvoyer Hussain Abdullah contrevenait à deux conventions internationales dont le Canada est signataire, soit la Convention contre la torture et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les avocats de Hussain Abdullah se sont alors résolus à faire appel, en dernier recours, au Comité des droits de l'homme.

La suite des choses

Hier après-midi, Hussain Abdullah était hospitalisé au service de médecine interne de la Cité de la santé de Laval, sous la surveillance de deux agents de sécurité de l'ASFC. Au moment d'écrire ces lignes, l'Agence des services frontaliers n'avait toujours pas commenté la demande de l'ONU.

Mais le ministère de la Sécurité publique, qui chapeaute l'ASFC, assurait avoir l'habitude de suivre « les demandes de mesures provisoires » du Comité des droits de l'homme de l'ONU.

« Bien que le Canada accorde généralement du temps au Comité de droits de l'homme pour évaluer davantage une affaire avant son renvoi, chaque demande est analysée avec soin et examinée au cas par cas », explique l'attaché de presse du ministre Ralph Goodale, Scott Bardsley.

Maintenant que leur client n'est plus sous le coup d'un renvoi, les avocats de Hussain Abdullah cherchent à lui faire retrouver la liberté.

Une audience de révision de sa détention doit avoir lieu ce matin. En cas de décision positive, Hussain Abdullah pourra retrouver sa famille et relancer les démarches pour pouvoir rester auprès d'elle, au Canada.