La pénurie de sauveteurs donne des maux de tête aux propriétaires de camping ainsi qu'à certaines municipalités qui peinent à recruter. Même dans de plus grandes villes comme Laval, des candidats plus faibles ont été sélectionnés faute de mieux, déplore le syndicat local. Alors que le Québec surfe sur le plein-emploi, le problème risque de s'accentuer, préviennent des experts.

Alors que l'été approchait à grands pas, Ginet Buteau et son associé angoissaient à l'idée de ne pas trouver de surveillants-sauveteurs pour leur terrain de camping. «On était stressés, on ne pensait qu'à ça toutes les semaines et tous les jours», confie-t-elle.

Mme Buteau était prête à faire bien des sacrifices pour que ses clients qui viennent séjourner sur son terrain puissent se rafraîchir dans la piscine.

Au début de l'été, la propriétaire du camping du Vieux-Moulin, dans Lanaudière, a effectué elle-même le trajet de Saint-Barthélemy à Laval, soit deux heures de route aller-retour, pour assurer le transport d'une jeune sauveteuse. Elle lui a aussi offert l'hébergement lorsqu'elle ne pouvait pas la reconduire chez elle après son quart de travail.

Après avoir multiplié les annonces dans les dépanneurs et les journaux locaux - et ce, dès janvier -, en plus de faire un appel de candidatures sur le site internet d'Emploi-Québec, elle a reçu une seule candidature. Elle offrait pourtant une rémunération de trois dollars au-dessus du salaire minimum.

Mme Buteau est loin d'être seule dans cette situation. D'autres propriétaires de camping ont confié à La Presse éprouver les mêmes problèmes de recrutement. Cette année, on compte 13 517 personnes possédant un brevet de sauveteur national à travers le Québec, contre 13 809 l'an dernier.

Le président-directeur général de Camping Québec, Simon Tessier, affirme que le problème est récurrent et qu'il continuera de s'accentuer. Le métier de sauveteur - qui fait partie de la catégorie des Animateurs et responsables des programmes de sports, de loisirs et du conditionnement physique - est l'un des plus à risque de pénurie d'ici à 2025, selon une étude du Conference Board du Canada datant de 2015.

Ce ne sont pas que les petites municipalités qui sont aux prises avec des difficultés de recrutement. Selon le Syndicat des travailleuses et travailleurs en loisirs de la Ville de Laval (STTLVL), la troisième ville du Québec a dû assouplir ses standards de sélection afin d'être en mesure d'embaucher assez de surveillants qualifiés pour faire fonctionner ses installations. 

«D'un point de vue compétence, on va prendre des candidats qu'on n'aurait peut-être pas pris si on avait eu une plus grande banque», reconnaît Sandrine Dessureault, présidente du Syndicat des travailleuses et travailleurs en loisirs de la Ville de Laval.

Le syndicat précise cependant que tous les candidats ont la formation minimale demandée aux surveillants-sauveteurs.

De son côté, Laval assure que tous ses sauveteurs sont compétents. «L'embauche de personnel dûment qualifié, c'est pour nous de la plus haute importance. C'est une question de vie et de sécurité du public», précise Sarah Bensadoun, responsable des affaires publiques à la Ville de Laval.

Le syndicat ajoute que, l'an dernier, certaines piscines ont dû terminer l'été avec des effectifs réduits. Sa présidente, Mme Dessureault, redoute que cette situation ne se reproduise cette année. Elle attribue le manque de main-d'oeuvre aux salaires moins élevés offerts aux sauveteurs de la Ville de Laval comparativement à ceux qui sont versés dans d'autres grandes villes du Québec. Le salaire moyen pour les sauveteurs des grandes villes s'élève à 16,62 $ l'heure au premier échelon alors qu'à Laval, il est de 13,47 $ l'heure. Au dernier échelon, cet écart est encore plus important : 19,98 $ l'heure en moyenne contre 14,28 $ l'heure à Laval.

C'est toutefois en région, particulièrement dans les régions éloignées - destinations de vacances prisées de beaucoup de Québécois -, que la pénurie est la plus criante, souligne le directeur général de la Société de sauvetage, Raynald Hawkins.

Année particulièrement difficile

À titre d'exemple, en Gaspésie, la propriétaire du camping Base Plein Air Saint-Damase, Louise Dubois, occupe elle-même la chaise du sauveteur de temps à autre. «Ce n'est pas parce qu'on n'essaie pas. J'ai essayé [de recruter] partout. J'ai essayé tous les clubs de natation dans le coin. C'est vraiment, vraiment difficile. Vraiment.»

À ce jour, il lui manque toujours un sauveteur afin d'être conforme aux réglementations.

Depuis qu'elle est devenue propriétaire du camping il y a quatre ans, Mme Dubois a toujours eu de la difficulté à recruter, mais ces deux dernières années, les défis sont plus importants, dit-elle; cette année étant la pire.

D'autres municipalités - toujours en raison de la pénurie - n'ont plus de marge de manoeuvre lorsqu'un sauveteur régulier s'absente. Ce fut notamment le cas à Rivière-du-Loup au début de la saison estivale, où des séances de baignade n'ont pu avoir lieu durant un week-end alors que tous les sauveteurs étaient partis à la même compétition de... natation, rapporte l'adjoint aux sports de la municipalité, Jonathan Lord.

Un choix facile

Alors que le Québec a atteint le plein-emploi, les candidats potentiels - qui sont principalement des étudiants universitaires ou des cégépiens - sont attirés vers d'autres secteurs d'emploi encore plus payants et qui ont l'avantage de débuter plus tôt, selon M. Hawkins, de la Société de sauvetage. «Lorsqu'un étudiant termine l'école et qu'il se fait offrir des salaires plus élevés à ce moment-là, au lieu d'attendre jusqu'à la fin du mois de juin pour se faire offrir un salaire variant entre 12 et 15 $ par heure, le choix n'est pas difficile : il va prendre l'emploi le plus payant qui commence tout de suite», explique-t-il.

La baisse démographique de la tranche d'âge des 15 à 24 ans vient aussi compliquer les choses, indique la directrice des communications du Conseil québécois des ressources humaines en tourisme, Annick Vigeant. La concurrence entre les différents secteurs d'activité est forte pour attirer les jeunes employés, ce qui rend le recrutement de plus en plus difficile.

À cet obstacle s'ajoute le fait que la formation de sauveteur est exigeante. «Ç'a toujours été une main-d'oeuvre plus difficile à trouver en raison des formations exigées, qui représentent environ 125 heures», explique pour sa part David Comeau, coordonnateur aux activités aquatiques et jeunesse d'Alma, dont la municipalité se trouve dans une région - le Lac-Saint-Jean - où la pénurie se fait sentir.

Dès 2004, la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) a implanté une mesure dérogatoire en cas de pénurie. Si un propriétaire est en mesure de prouver qu'il a tenté en vain de recruter des sauveteurs âgés de 17 ans, il peut alors engager un candidat de 16 ans ayant les mêmes certifications, explique le porte-parole de la Régie, Sylvain Lamothe. Dans ces conditions, il doit également y avoir la présence d'un adulte responsable à la piscine.

Et depuis 2010, les propriétaires n'ont plus à présenter une demande à la Régie pour faire appel aux mesures dérogatoires. La RBQ n'a donc pas été en mesure de fournir de statistiques quant au nombre de dérogations accordées chaque année.

Abolir les sauveteurs?

Cette exception, qui a pour but d'atténuer la pénurie, n'est pas jugée suffisante par les hôteliers, les propriétaires de terrains de camping et les restaurateurs, rapporte M. Hawkins, de la Société de sauvetage.

Certains propriétaires vont jusqu'à proposer d'abaisser le niveau de formation requis ou d'abolir l'obligation de présence de personnel qualifié pour surveiller leur plan d'eau. Or, M. Hawkins croit que cette suggestion risque d'augmenter le nombre de noyades.

«La Société de sauvetage ne préconisera jamais cette approche», insiste M. Hawkins. Le directeur rappelle l'importance de la présence de surveillants-sauveteurs pour prévenir les noyades.

- Avec Thomas Dufour, La Presse

Un journal de bord pour prévenir les incidents

La Brigade Splash est une initiative de la Société de sauvetage en partenariat avec la Régie du bâtiment du Québec, qui existe depuis 2011. Les membres de la brigade sont invités à faire de la prévention et de la sensibilisation sur différents lieux de baignade. Les sauveteurs rencontrés sont appelés à remplir un journal de bord en ligne afin d'y rapporter les différentes interventions effectuées lors de leur journée de travail.

À l'été 2017, le journal de bord a été rempli à 1718 reprises à travers la province :

• 20 appels au 9-1-1 ont été faits dans le cadre d'une situation majeure nécessitant un transport en ambulance (il pouvait s'agir d'une réanimation réussie, d'un choc anaphylactique ou d'une blessure soupçonnée à la moelle épinière, par exemple).

• 192 interventions mineures

• 381 avertissements faits aux parents sur l'importance de surveiller leurs enfants

• 270 avertissements quant à l'âge jugé trop bas de l'enfant pour de se baigner seul

• 818 interventions de discipline auprès de jeunes enfants

L'Ontario également en manque de sauveteurs

La pénurie de sauveteurs ne touche pas seulement le Québec : nos voisins ontariens vivent un problème similaire. Lors des journées chaudes, les municipalités peinent à trouver assez de sauveteurs pour assurer la surveillance lors des heures d'ouverture prolongées, selon un récent reportage de Radio-Canada Toronto. La Société de sauvetage de l'Ontario les encourage à être plus proactives dans leurs méthodes de recrutement.