Malgré l'apparent retour à la normale sur les chantiers du Québec, des grutiers continueraient à faire des moyens de pression par la bande en refusant de faire des heures supplémentaires jusqu'à lundi. La situation pourrait forcer la fermeture de certains chantiers ce week-end encore.

Selon différentes sources, le mot d'ordre se serait passé à la suite d'une rencontre syndicale tenue mardi soir par les grutiers. Ceux-ci sont en colère contre un nouveau règlement qui permet à des ouvriers non spécialisés de manoeuvrer des grues de petite taille hors des grands chantiers sans suivre une formation professionnelle obligatoire de 870 heures.

Au cours du week-end, devant le refus des grutiers de se plier à une ordonnance du Tribunal administratif du travail qui les obligeait à mettre fin à leur grève illégale, la FTQ et le gouvernement Couillard ont convenu de mettre sur pied un «comité indépendant» pour étudier la question. Mais une déclaration publique de Florent Tanlet, porte-parole de la ministre du Travail, qui a affirmé mardi qu'il était «hors de question de revoir le règlement» malgré la mise sur pied de ce comité, aurait mis le feu aux poudres.

Aucun des deux syndicats de grutiers n'a rappelé La Presse.

«Ce n'est pas un mot d'ordre du syndicat, mais il se peut que certains [grutiers] aient décidé de ne pas faire d'heures supplémentaires. Ils sont mécontents, c'est possible», dit Gabrielle Tellier, de la firme de relations publiques Tesla RP, qui représente l'Union des opérateurs grutiers (section locale 791G, affiliée à la FTQ-Construction).

La Commission de la construction a pour sa part indiqué qu'elle menait toujours son enquête, mais n'a pas voulu faire de commentaires.

Une source de l'industrie de la construction affirme que le refus des grutiers de faire des heures supplémentaires s'appliquerait entre autres au chantier du nouveau pont Champlain, qui comprend une cinquantaine de grues.

L'échéancier serré des travaux pour respecter l'objectif de livrer le nouveau pont le 21 décembre nécessite que des heures supplémentaires soient réalisées la nuit et le week-end.

Le consortium Signature sur le Saint-Laurent, maître d'oeuvre du chantier, n'a pas voulu faire de commentaires.

Une faille dans l'ordonnance

La Commission de la construction du Québec a allégué la semaine dernière qu'un «refus concerté» des grutiers de faire des heures supplémentaires minait les chantiers de la province et a demandé au Tribunal administratif du travail de prendre «toutes les mesures nécessaires» pour y mettre fin. L'ordonnance rendue par le juge Alain Turcotte force les grutiers à «cesser immédiatement toute grève ou ralentissement de travail» et les oblige à «offrir leur prestation normale et habituelle de travail», mais nulle part dans sa décision il n'est explicitement question des heures supplémentaires. 

«Dans un contexte où il est difficile de prouver que la ligne est franchie dans le non-respect de l'ordonnance, il faut s'attendre à en voir certains exploiter cette faille-là», affirme Éric Thibaudeau, avocat spécialisé en droit de la construction au cabinet Langlois.

Selon Christian Croteau, porte-parole de l'Association des constructeurs de routes et de grands travaux du Québec, certaines heures supplémentaires dans de grands chantiers sont «institutionnalisées», ce qui oblige les travailleurs à les faire quoi qu'il arrive. «Dans de tels cas, la jurisprudence indique, règle générale, qu'il n'est pas possible de diminuer la cadence autrement que de façon concertée, ce qui peut être considéré comme un ralentissement de travail», résume-t-il.

S'il devait être démontré en cour que les syndiqués ou leurs représentants ont contrevenu à l'ordonnance du juge Turcotte en refusant de faire des heures supplémentaires, ils pourraient être reconnus coupables d'outrage au tribunal, une accusation grave pouvant mener jusqu'à des peines d'emprisonnement.