Environnementalistes, agriculteurs, entreprises et partis de l'opposition ont exigé du changement, après les révélations de La Presse sur le refus de déposer des accusations contre les responsables des déversements massifs de sols contaminés à la campagne. Se disant « déçue », la ministre de l'Environnement affirme qu'elle envisage des poursuites civiles et la création d'une escouade policière « verte » spécialisée en crimes écologiques.

La Presse a révélé mercredi que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a refusé de déposer des accusations comme le souhaitaient les policiers affectés au projet Naphtalène, une enquête qui a mis au jour un vaste système de déversement illégal de sols contaminés dans la nature.

Plus de 80 sites saccagés, dont une bonne part de terres agricoles, ont été recensés par la police, qui a saisi 4711 faux bons de pesée pour des camions de terre. Celui qu'on soupçonne d'être la tête dirigeante de l'organisation ciblée est un ancien associé des Hells Angels. Mais le DPCP ne s'estime pas capable d'obtenir des condamnations en se basant sur les analyses de sols amassées par les policiers.

Le président général de l'Union des producteurs agricoles du Québec (UPA), Marcel Groleau, était incrédule, mercredi. « Je trouve ça terrible. On voit un stratagème élaboré, on est capable d'en faire la démonstration, et le DPCP n'est pas capable de porter des accusations. Je trouve ça regrettable... et incompréhensible. »

Lui-même producteur laitier, il souligne que la contamination d'une terre peut représenter des « pertes énormes » pour un agriculteur.

Il se questionne sur les priorités du ministère de l'Environnement. « On a une réflexion à faire pour s'assurer que les inspecteurs sont au bon endroit. Nous, les producteurs agricoles, nous avons le Ministère sur le dos pour des bandes riveraines auxquelles il manque six pouces ou pour des questions administratives, alors qu'on voit un danger bien plus grand avec ces sols contaminés que personne ne suit », dit-il.

Il souligne que l'UPA a toujours demandé à ce qu'un acheteur d'une terre agricole soit obligé de l'exploiter, afin d'éviter que des terres soient laissées à l'abandon et utilisées comme déversoir, comme l'a découvert la police.

« Situation intolérable »

Sur Twitter, Karel Mayrand, directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki, a dénoncé une « situation intolérable qui doit cesser ».

« Pourquoi Québec tarde-t-il à mettre en place un véritable système de traçabilité des sols ? C'est la seule manière de mettre fin à cette mainmise de bandits », a-t-il déclaré.

Le député péquiste Sylvain Gaudreault a dit souhaiter que le DPCP explique davantage les motifs de son refus. Mais il interpelle aussi la ministre de la Justice Stéphanie Vallée, qui dispose de certains pouvoirs à titre de procureure générale du Québec pour se mêler d'un dossier entre les mains du DPCP.

« J'aimerais qu'elle nous dise si elle a évalué la possibilité de prendre son pouvoir exceptionnel pour se saisir du dossier. Avec une enquête de la SQ sur plus de deux ans, il y a des éléments qu'on ne peut pas remettre en cause, notamment la production de plus de 4000 faux documents », dit-il.

De son côté, la Coalition avenir Québec (CAQ) exige un plan concret de la ministre de l'Environnement. « À la suite de la décision du DPCP de ne pas porter d'accusation criminelle contre les prétendus pollueurs, la CAQ lance l'ultimatum à la ministre de l'Environnement, Isabelle Melançon, de présenter aux Québécois ses intentions réglementaires concernant la traçabilité des sols contaminés, et ce, d'ici la fin de l'été », a lancé le parti dans un communiqué.

« Certains propriétaires de terres agricoles sont complètement désemparés devant ce système illégal, et c'est la responsabilité du gouvernement du Québec de les protéger, » a affirmé la députée caquiste de Mirabel, Sylvie D'Amours. 

Pour une escouade policière « verte »

Dans un communiqué conjoint, le Conseil des entreprises en technologies environnementales du Québec (CETEQ) et Réseau Environnement, deux regroupements de l'industrie, se sont dits « choqués par la tournure des événements ».

Les deux groupes « s'expliquent mal que le DPCP n'ait pas été en mesure de déposer des accusations de nature criminelle contre des entreprises délinquantes qui ont déversé des milliers de tonnes de sols contaminés dans l'environnement, causant ainsi des dommages graves et à long terme à des terrains naturels et des cours d'eau ».

S'ils considèrent que la ministre Melançon a été « exemplaire » en mettant sur pied deux projets-pilotes de traçabilité des sols qui pourraient un jour être étendus à travers le Québec, ils réclament plus de mordant.

« Nous croyons fermement que la création d'une escouade verte spécialisée au sein de la Sûreté du Québec est nécessaire. Celle-ci pourra ainsi récolter la preuve suffisante afin d'accuser les entreprises malveillantes et de les tenir responsables des préjudices causés à l'ensemble des Québécois », souligne Richard Mimeau, du CETEQ.

Daniel Green, coprésident de la Société pour vaincre la pollution, réclame lui aussi la création d'un « groupe d'enquête spécialisé » qui serait « composé de policiers, de techniciens en environnement, d'avocats spécialisés en droit de l'environnement, de scientifiques dans le domaine de la toxicologie ainsi que des médecins ».

La ministre ouverte

La ministre Melançon dit être ouverte à cette suggestion.

« L'escouade verte à la Sûreté du Québec, avec plus de connaissances, des gens issus du milieu environnemental qui pourraient aider, je suis ouverte à plusieurs possibilités, mais il faut combattre le crime organisé », martèle-t-elle, tout en ajoutant : « Je ne suis pas policière ».

« Devant la déception que j'ai eue [mercredi] matin en lisant les journaux, on doit s'ouvrir à différentes nouvelles façons de faire les choses », a-t-elle dit. Elle affirme que des poursuites civiles sont en préparation contre certains des responsables du saccage.

« J'espérais qu'on puisse vraiment aller plus loin pour pouvoir attraper ces gens, qui sont des malfrats, qui sont des criminels ; c'est terrible, ce qu'ils ont fait à des propriétaires, à l'environnement », a dit la ministre Melançon. 

Elle affirme avoir demandé aux fonctionnaires d'accélérer leurs démarches pour instaurer une traçabilité des sols. « Je veux accélérer le pas », a assuré la ministre, qui considère que la mise en place de projets-pilotes en ce sens est « l'une des meilleures décisions » qu'elle a prises en tant que ministre.

Certains des artisans de ces projets auraient d'ailleurs été victimes d'intimidation, selon elle. « Ça doit déranger parce qu'il y a des gens qui travaillent actuellement sur ce dossier qui m'ont dit : ‟j'ai reçu des téléphones pas très agréables qui me disent qu'on devrait se mêler de nos affaires" », a-t-elle relaté.

- Avec La Presse canadienne