Anticosti réclame sans délai l'imposition d'un moratoire sur les coupes forestières prévues cet été sur le territoire et promet un «soulèvement» populaire si Québec refuse. L'abattage forestier des dernières années, selon la municipalité, affaiblit le cheptel de cerfs de Virginie, emblème de l'île, mais aussi la base de son activité économique.

«Ce coup-ci, ça ne marche pas», lance le maire John Pineault. «Si je fais un référendum dans le village pour savoir si les gens veulent que la coupe de bois continue comme ça, je vous garantis que 95% de ma population dit : non», a-t-il assuré en entrevue, avant son départ pour Québec où il doit rencontrer aujourd'hui le ministre Luc Blanchette.

L'entretien avec le ministre de la Forêt, de la Faune et des Parcs (MFFP) survient après que la municipalité d'Anticosti eut manifesté son insatisfaction devant la planification forestière de 2018. Des pourvoiries de l'île et le comité responsable d'un secteur de chasse pour les citoyens ont déjà fait connaître leur mécontentement à la direction régionale du MFFP.

Anticosti reproche au MFFP de permettre des coupes forestières de plus en plus grandes en dehors des «exclos». Ceux-ci sont des secteurs clôturés où les coupes sont autorisées pour accélérer la régénération de la végétation. Dans ces zones, la population de cerfs est réduite pour faciliter la repousse des sapinières.

La collecte est passée de 50 000 mètres cubes de bois en 2014 à 80 000 mètres cubes en 2015 et à 115 000 mètres de cubes en 2016. 

Le maire déplore que l'abattage se concentre dans l'ouest de l'île, à proximité des installations portuaires, ce qui perturberait l'habitat du cerf.

Moins de cerfs

«On s'est rendu compte que dans l'ouest de l'île, ces quatre dernières années, on observe une baisse vraiment marquée de la population des cerfs», affirme le maire. C'est dans ce secteur que se trouve le territoire de chasse de la Pourvoirie Lac Geneviève d'Anticosti et celui du Comité aviseur du territoire des résidants d'Anticosti.

«Il y a cinq ans, les chasseurs pouvaient voir 15 cerfs par jour, alors que l'an passé, ça variait entre un et trois.» 

John Pineault n'a pu fournir à La Presse des données sur la population des cerfs de Virginie sur l'île puisqu'il n'en détient pas lui-même, a-t-il expliqué. «On se bat depuis cinq ans pour avoir un inventaire. Personne ne sait combien de cerfs il y a sur l'île, mais je peux vous dire que c'est très bas. C'est probablement même un bas historique», a-t-il assuré.

Anticosti se dit toujours favorable aux coupes dans les «exclos». C'est plutôt dans les zones appelées «hors bloc», permises pour assurer la rentabilité économique des activités forestières, que l'abattage pose problème, estime M. Pineault. Selon lui, des coupes pourraient avoir lieu ailleurs sur l'île, 17 fois plus grande que l'île de Montréal.

Depuis 2014, c'est la société en commandite Solifor, créée par le Fonds de solidarité FTQ, qui procède à la récolte de bois, selon une entente de délégation de gestion conclue avec le Ministère. Les coupes forestières sur Anticosti sont autorisées dans le cadre d'un plan d'aménagement faunique pour la restauration de l'habitat du cerf de Virginie.

Impacts économiques

«Ce qu'on demande, c'est un moratoire d'un an, le temps qu'on regarde ce qui se passe avec la saison de chasse, qu'on entre des biologistes et qu'on observe s'il y a un problème, qu'on pose les vraies questions», poursuit le maire. 

«Les pourvoyeurs sont extrêmement inquiets, [...] À Anticosti, la coupe de bois ne fait vivre personne. C'est la chasse et la pêche.»

Les pourvoiries d'Anticosti sont plutôt réticentes à communiquer leurs données sur la chasse pour des raisons économiques. Des documents consultés par La Presse font cependant état de pertes de revenus imputables, selon des propriétaires, à la diminution du cheptel de cerfs. Plus de 80% de l'économie d'Anticosti repose sur l'industrie de la chasse et de la pêche, dit le maire.

Le bilan 2017 de la chasse au cerf de Virginie rendu public par le MFFP à la fin de l'année exclut le territoire de l'île d'Anticosti.

Le cabinet du ministre Luc Blanchette confirme la tenue d'une rencontre avec le maire John Pineault pour «parler globalement de la forêt et de la faune sur l'île», sans vouloir fournir d'autres détails. Une rencontre a aussi eu lieu jeudi dernier entre la direction régionale et des représentants des pourvoiries et de la municipalité.