Six amis et amoureux de la nature s'apprêtent à vivre l'aventure d'une vie. Hier, le clan a mis le cap vers le village inuit de Nain, dans le nord-est du pays, en partant de Schefferville sur la Côte-Nord. Une expédition ambitieuse qui s'étalera sur trois mois dans le Grand Nord québécois et terre-neuvien où ils pagayeront en canot, un parcours de quelque 1500 kilomètres.

« On se gâte », lance l'un des membres de l'expédition baptisée AKOR, Nicolas Roulx. Lui et sa bande ont sauté jeudi dernier dans le train qui devait les mener de Sept-Îles jusqu'à Schefferville. Fébrile à la veille du grand départ, l'enseignant au secondaire ne manque pas de mots pour qualifier ce défi au coeur d'un « territoire extrêmement hostile ».

« C'est un lieu super sauvage, c'est super éloigné. La seule façon d'y accéder, c'est en avion. Nous, on s'est dit que ce n'était pas vrai, qu'on pouvait y aller en canot comme le faisaient les gens il y a 100 ans », illustre l'aventurier. Le groupe a jeté son dévolu sur les monts Torngat, parmi les plus hauts au pays, encore méconnus du grand public.

Les pagayeurs descendront les rivières De Pas et George pour atteindre la baie d'Ungava, qu'ils longeront ensuite avant de remonter la rivière Koroc sur 130 kilomètres. Cette approche mènera les canotiers aux fameux monts Torngat. « Il n'y a presque pas de tourisme qui se fait là-bas. C'est vraiment loin », indique Nicolas Roulx.

Les monts Torngat abritent le parc national du même nom, qui couvre 9700 kilomètres carrés entre le Nord-du-Québec et la mer du Labrador. Les Inuits y vivent depuis des siècles. Le territoire s'étend aussi au parc national Kuururjuaq, des Parcs Nunavik. Un séjour de trekking de neuf jours pour coûter 4500 $ par personne pour un vol depuis Montréal.

Rares sont ceux qui partent du sud pour atteindre le secteur par l'eau, comme prévoit le faire l'équipe d'AKOR. Voilà maintenant plus de deux ans que les six pagayeurs préparent leur périple.

« Pour chaque jour d'expédition, il faut compter environ trois jours de préparation... à temps plein, ce qui n'était pas notre cas », explique Nicolas Roulx.

Le groupe de Québec, qui ne compte qu'une fille, est en fait une bande d'amis qui ne se sont jamais quittés après l'époque du camp de vacances où ils avaient attrapé le virus du plein air. « Nous étions campeurs, quand nous étions petits. Après, nous sommes devenus moniteurs et ensuite guides... Nous sommes devenus de super bons amis », raconte Nicolas Roulx.

Et comme tous les passionnés, le clan a voulu hausser d'un cran sa pratique. « Il arrive un moment dans la progression de ton sport où tu sens que tu maîtrises assez tes compétences pour accepter un peu plus de risques. C'est ce qu'on fait », poursuit Nicolas Roulx. « Il y a un risque, on va être honnête, mais on ne peut pas être plus prêt que ça. »

Nombreux défis

Les défis seront nombreux, pendant les deux à trois mois d'expédition. Le moment que les sportifs appréhendent le plus est la fin du périple, qui se termine en longeant la côte de l'océan Atlantique, un lieu « extrêmement dense en ours polaires », indique le jeune canotier. « Ça nous stresse vraiment beaucoup, beaucoup », confie-t-il.

« On a parlé à des Inuits, à des chasseurs et à des gens qui ont eu à gérer ça. On part avec des moyens de défense optimaux. »

L'équipe s'est entre autres munie d'une clôture à ours qu'elle installera autour de son campement. Les aventuriers se disent aussi prêts à alterner pour tenir une vigie de nuit s'ils aperçoivent des ours le jour.

Les aléas de la mer et l'alimentation en eau potable promettent aussi d'être des défis au quotidien. Ainsi, les lacs sur lesquels ils avaient prévu de pagayer en début de parcours sont toujours gelés. « Ça n'est pas très bon pour nous, on va être obligés de tirer nos canots jusqu'à ce qu'on trouve de l'eau libre. Le début sera extrêmement difficile mentalement. »

Missions multiples

L'objectif premier des membres de la périlleuse expédition est évidemment d'arriver sains et saufs à Nain, confie le jeune homme, mais la mission comporte plusieurs volets. « Notre philosophie n'est pas de faire des expéditions juste pour nous [...] Ça vient avec un devoir d'en faire profiter les autres, tous ceux qui n'ont pas accès à ça », explique l'enseignant au secondaire.

« Nous voulons rendre accessible le territoire par des images et des histoires, surtout auprès des jeunes », ajoute-t-il. L'équipe de canotiers, âgés de 25 à 28 ans, apporte même un drone et une caméra vidéo pour documenter son périple. Leur équipement sera rechargé par un panneau solaire qu'ils transportent parmi leurs barils remplis de vivres.

Leur expédition s'accompagne aussi d'un projet de recherche scientifique, alors que la troupe collectera des rondins pour mieux comprendre les effets des changements climatiques sur la croissance des arbres en région nordique. C'est Guillaume Moreau, doctorant en sciences forestières, qui sera responsable de la collecte et de l'analyse.

« [Notre but], c'est aussi de faire comprendre aux gens l'importance de prendre soin de ces régions-là, qui sont extrêmement vulnérables aux changements climatiques. Même si c'est loin de nous, il y a des populations qui en subissent les conséquences », indique Nicolas Roulx. Le projet scientifique se fait en collaboration avec l'Université Laval.

Les aventuriers ont d'ailleurs pu profiter de diverses bourses et commandites pour financer leur périple estimé à environ 75 000 $. Au moment de la publication de ce texte, les membres de l'équipage d'AKOR devaient amorcer leur deuxième journée de canot. Ils donneront des nouvelles une fois par semaine à leurs proches grâce à un téléphone satellite.

Qui sont-ils ?

Pier-Luc Morissette : enseignant et guide d'expérience

Sarah-Jeanne Giroux : avocate de formation et enseignante

Philippe Poulin : bachelier en environnement et amoureux du Grand Nord

Charles Fortin : ingénieur mécanique et attiré par la nature sauvage

Nicolas Roulx : enseignant au secondaire et étudiant à la maîtrise en géographie

Guillaume Moreau : forestier de formation et doctorant en sciences forestières

Photo fournie par AKOR

Âgés de 25 à 28 ans, l'équipe de six canotiers se connaît depuis l'époque du camp de vacances, où ils ont attrapé la piqûre du plein air.

Photo fournie par AKOR

L'équipe possède notamment une clôture à ours qu'elle peut installer autour de son campement.