Il est toujours difficile d'expliquer ce qui peut pousser un homme à commettre un attentat aussi horrible que celui qui a frappé Toronto lundi. Mais ceux qui voudraient trouver une réponse facile dans le fait que l'accusé, Alek Minassian, pourrait être atteint du syndrome d'Asperger font fausse route, préviennent des experts.

L'idée qu'Alek Minassian souffrait du syndrome d'Asperger, une forme d'autisme, a été avancée par The Globe and Mail. Le quotidien rapporte qu'en 2009, la mère d'Alek, Sona Minassian, avait confié à un journal local que son fils atteint du syndrome d'Asperger risquait de perdre l'accès à un programme visant à aider les jeunes à surmonter leurs « barrières cognitives » et à intégrer le marché du travail. Le nom de son fils n'était pas mentionné.

Ceux qui ont côtoyé l'accusé l'ont décrit comme un homme intelligent, mais « un peu étrange » et qui ne « s'intégrait pas complètement ». Ces informations sont évidemment très loin de représenter un diagnostic, mais elles sont compatibles avec les déclarations de la mère de l'accusé.

« Je ne pense pas que ce soit quelque chose qui puisse expliquer un geste aussi délibéré », commente Marc Lanovaz, professeur agrégé à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal et spécialiste de l'autisme. 

L'expert souligne que les gens atteints d'un trouble du spectre de l'autisme, loin de transgresser les règles, ont plutôt tendance à les suivre à la lettre, et sont bien plus souvent des victimes que des agresseurs.

UN FACTEUR DE RISQUE ?

Il reste que les liens entre autisme et tueries de masse font régulièrement la manchette. Adam Lanza, qui a tué 27 personnes dans une école de Sandy Hook, au Connecticut, était atteint du syndrome d'Asperger, selon son propre père. Le même syndrome a été évoqué dans le cas de James Holmes, qui a ouvert le feu dans un cinéma d'Aurora, en 2012, et dans celui d'Anders Breivik, qui a commis des attentats meurtriers en Norvège en 2011.

En 2014, des scientifiques écossais et suédois se sont penchés sur le profil de 239 tueurs en série ou de masse. Selon leurs analyses, 28 % d'entre eux souffraient d'un trouble du spectre de l'autisme « diagnostiqué, hautement probable ou possible ». Le nom de Marc Lépine, tueur de l'École polytechnique de Montréal, figure dans la liste des cas « hautement suspectés ».

Il faut cependant être extrêmement prudent en interprétant ces résultats. Les auteurs eux-mêmes ne suggèrent pas que l'autisme est responsable des tueries. Ils écrivent que dans certains cas, il est possible que certains problèmes neuro-développementaux puissent « interagir dans une dynamique complexe avec des facteurs psychosociaux pour produire ces événements tragiques ».

Mais ces conclusions vont déjà trop loin pour le professeur Marc Lanovaz, de l'Université de Montréal, qui reproche aux auteurs d'avoir établi des diagnostics « possibles » ou « probables » sans évaluation psychiatrique, seulement à partir de témoignages rapportés dans les médias. 

« Quand quelqu'un commet un geste inexplicable, les gens cherchent une explication. Ils analysent les comportements et se rappellent que la personne avait un comportement bizarre... Ce n'est pas assez pour établir un diagnostic. » - Marc Lanovaz, professeur agrégé à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal et spécialiste de l'autisme

Le Dr Rob Whitley, professeur adjoint au département de psychiatrie de l'Université McGill, met aussi en garde contre la tendance à voir de la maladie mentale à chaque tragédie. « En anglais, je dis : bad does not equal mad », dit-il.

Lili Plourde, présidente de la Fédération québécoise de l'autisme, estime que la pire chose à faire serait aujourd'hui de considérer les autistes comme des bombes ambulantes.

« Les personnes autistes ne sont pas dangereuses, dit-elle. Il ne faut pas se mettre à avoir peur de celles qui sont dans notre environnement. Déjà qu'elles sont victimes de stigmatisation et d'intimidation... Quand des choses comme ça arrivent, c'est toujours inquiétant de voir comment ça peut se traduire dans la communauté. »

Le professeur Lanovaz explique que les personnes autistes sont plus susceptibles que les autres de souffrir d'anxiété ou de dépression, mais refuse d'établir un lien avec des actes de violence à grande échelle. Il rappelle que si les personnes autistes peuvent avoir de la difficulté à entrer en relation avec les autres, cela ne veut absolument pas dire qu'elles ne ressentent pas le besoin et le désir de créer ces liens. « Il faut vraiment faire la différence entre habileté et motivation », dit-il. Et s'il est vrai que les personnes autistes peuvent avoir de la difficulté à se mettre à la place des autres, cela ne peut aucunement expliquer des tueries comme celle de Toronto.

Photo la Presse canadienne

Alek Minassian

Photo Galit Rodan, La Presse canadienne

De nombreuses personnes se sont rendues sur les lieux du drame, hier, pour rendre hommage aux victimes de l'attaque au camion-bélier survenue lundi à Toronto.