Ottawa a les épices à l'oeil : l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) a augmenté sa surveillance des épices et des herbes offertes sur le marché, ces ingrédients étant susceptibles d'être adultérés. Les premiers résultats des tests sont préoccupants : le taux de conformité est de moins de 70 %.

Environ le tiers des épices offertes sur le marché ne contiennent pas tout à fait ce qu'on prétend. Ce qui ne veut pas nécessairement dire que 30 % des épices sont passées entre les mains d'un commerçant malveillant qui a volontairement coupé ses herbes de Provence avec des feuilles d'olivier ou mis de la craie dans son curcuma et du colorant pour masquer le subterfuge.

Le taux de conformité montre que le tiers des épices présentent un problème de qualité, mais on ne peut pas conclure que cela est le résultat d'une intention frauduleuse, précise Aline Dimitri, directrice générale de la Direction des sciences de la salubrité des aliments de l'ACIA.

On pourrait très bien trouver des résidus d'insectes et de feuillage dans du poivre moulu, ce qui arrive et peut révéler un problème de contrôle de la qualité plutôt que des intentions criminelles.

Pour l'année d'exercice 2014-2015, l'ACIA n'a testé que 13 échantillons d'épices, pour tout le Canada. Les deux années suivantes, le nombre a augmenté à 301 et à 304, avec des taux de conformité de 65 % et 69 %, respectivement. Ce résultat reflète ce qui se trouve sur le marché canadien, puisque les épices ne font pas encore l'objet d'un plan de surveillance particulier où les inspecteurs ciblent des produits douteux. L'ACIA doit maintenant décider si elle change de stratégie, à la lumière de ce résultat.

Car l'adultération des fines herbes et des épices, souvent volontaire, est bien connue des professionnels qui travaillent dans ce domaine. « On peut mettre n'importe quoi dans de la poudre, lance Philippe de Vienne, d'Épices de cru, qui connaît très bien le phénomène, et depuis longtemps. Nous vendons des épices entières pour cette raison », dit-il.

Lorsqu'on achète des épices entières, des noix de muscade ou des grains de coriandre, par exemple, le risque de se retrouver avec des épices ou des fines herbes coupées avec d'autres substances est beaucoup moins grand, soutient Philippe de Vienne.

« En achetant vos épices entières, vous réduisez votre risque de fraude. De 30 % à 10 %, 5 % ou 3 % ! Et les épices entières conservent leur parfum plus longtemps. »

- Philippe de Vienne, d'Épices de cru

Selon Philippe de Vienne, on peut assez facilement reconnaître le vrai du faux, par le goût et l'odorat. « Si vous avez du vrai origan sur votre côtelette d'agneau, vous allez le savoir. » La qualité de l'herbe se calcule au pourcentage d'huile qu'elle contient. Différentes variétés ont différents pourcentages d'huiles, mais un produit coupé en contiendra toujours beaucoup moins.

DES MÉLANGES ÉTONNANTS

« La fraude dans notre système alimentaire devient de plus en plus commune, car elle procure d'immenses profits pour ce type d'activité criminelle. Les aliments et ingrédients chers et qui font partie d'une chaîne d'approvisionnement complexe sont particulièrement vulnérables. Les épices et les fines herbes répondent parfaitement à ces critères », écrivent des chercheurs de l'Université de Belfast dans une étude sur la fraude concernant l'origan.

« En Inde, on vous vend l'épice que vous voulez, au prix que vous voulez », raconte Philippe de Vienne qui a déjà discuté avec un marchand, sur place, qui lui promettait de pouvoir livrer des épices à très, très bas prix, si tel était son désir. L'importateur québécois a décliné cette offre suspecte. 

« Plus il y a d'intervenants, plus il y a possibilité de fraude », explique Maxim Maheux, chercheur en chimie analytique au centre de recherche et de transfert en biotechnologies TransBIOTech, à Lévis. Maxim Maheux et ses collègues travaillent sur des cas de fraude alimentaire, notamment dans les épices. Et les fraudeurs leur donnent un indice assez infaillible dans les cas qui concernent les épices : les colorants. 

Les commerçants qui coupent leurs épices avec de la farine, de la craie, du bran de scie ou de la poudre de brique doivent ensuite s'assurer que le produit a une couleur vive, ce qui plaît particulièrement aux acheteurs, qui le voient comme un gage de qualité. 

Le hic, explique Maxim Maheux, c'est que certains colorants sont cancérigènes. Le sudan, par exemple, qui est désormais banni pour l'utilisation alimentaire. L'Agence canadienne d'inspection des aliments en a néanmoins trouvé en 2004 dans du harissa qui venait de France, dans de la poudre de cari britannique l'année suivante et dans de l'huile de palme l'année dernière.

« Sa couleur est jaune ou rouge et il ne faut pas en mettre beaucoup pour masquer un produit dilué », précise Maxim Maheux.

Les risques d'allergie sont évidemment un autre problème suscité par de tels ajouts, les fraudeurs n'ayant pas la délicatesse de fournir une liste des ingrédients ajoutés. TransBIOTech développe actuellement un projet qui permettra justement de déterminer quels produits ont été ajoutés dans les épices.

ET L'HUILE D'OLIVE ? 

L'un des aliments les plus falsifiés au monde est l'huile d'olive. L'Agence canadienne d'inspection des aliments vient de terminer l'analyse de 150 huiles d'olive offertes au Canada. Cette fois, les inspecteurs se sont procuré l'huile aux points de vente, pour avoir une image juste de ce qui se trouve sur le marché. Surprise : les 150 échantillons étaient conformes. Un résultat très étonnant étant donné le contexte mondial et le fait que des tests dirigés menés par l'ACIA ont aussi montré qu'il y avait de l'huile adultérée en vente au Canada. Les fraudeurs seraient-ils devenus plus malins que les inspecteurs ? C'est possible, admet Aline Dimitri, de l'ACIA. « Celui qui cherche à faire de la fraude, dit-elle, va essayer d'être un pas avant nous. » Ce résultat indique aussi, selon l'Agence, qu'il n'y a pas un important problème de fraude d'huile au Canada. « On ne va pas arrêter de tester l'huile d'olive, précise Aline Dimitri, mais on ne va pas intensifier [nos démarches]. » L'huile d'olive importée au Canada vient principalement d'Espagne et d'Italie.

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C'est le nombre de plaintes pour de possibles fraudes alimentaires reçues par l'ACIA en 2016-2017. C'est pratiquement le double du nombre de plaintes reçues cinq ans auparavant, mais cela reste très peu pour le pays tout entier.

DES PRODUITS SOUVENT FALSIFIÉS

LE SAFRAN

Selon Philippe de Vienne, d'Épices de cru, on peut reconnaître du vrai safran en le plaçant dans un verre d'eau. Si la couleur vive tombe au fond, il y a de grandes chances qu'il s'agisse de colorant. La couleur d'un vrai safran se diffusera également dans le verre, car sa densité est la même que celle de l'eau. Par ailleurs, il y a différentes qualités de safran authentique. Le meilleur ne conservera que la partie rouge du filament. Un bon safran est acheté environ 4000 $ le kilo par l'importateur, et se vend au détail autour de 8 $ le gramme. 

L'ORIGAN

Les fines herbes sont particulièrement vulnérables, car on peut y ajouter une partie de feuillage sans que cela altère le goût. Une étude publiée en 2016 par l'Université de Belfast a calculé que 24 % de l'origan vendu au Royaume-Uni, autant dans les supermarchés qu'en ligne, avait été falsifié. On trouvait le plus souvent dans l'origan des feuilles d'olivier ou de myrte, une plante cultivée en Europe, beaucoup en Corse, et souvent utilisée en aromathérapie. Les taux d'adultération des échantillons problématiques oscillaient de 30 à 70 %. Ce qui veut donc dire que certains pots d'origan contenaient en réalité moins d'origan que d'autres herbes...