Il est assis dans la rangée 5, section M. Juste derrière la zone des buts où les Broncos s'entraînent à tirer depuis des décennies. Contraste frappant avec la veille, l'aréna Elgar Petersen était pratiquement vide, hier. Mais ceux qui y entrent et remarquent la présence du maire Rob Muench s'approchent, lui serrent la main, lui font une accolade, le remercient. S'il garde le phare depuis trois jours, le maire de Humboldt admet qu'il a bien besoin de cette chaleur humaine.

- Bonjour, M. Muench, je m'appelle Craig Sluser, Broncos de 1972 à 1973. Je veux simplement vous dire que vous faites un travail magnifique.

- Mais oui, je me souviens de vous, M. Sluser !

Rob Muench a habité toute sa vie la petite ville de Humboldt. Maire depuis 2016, il avait siégé au conseil les 10 années précédentes. Depuis trois jours, il est devenu bien malgré lui la voix d'une ville endeuillée, plus que jamais le pilier de ses citoyens.

« Ces derniers jours ont été... surréels. Oui, je crois que c'est le bon mot. Surréels », observe le maire Muench, réfléchissant tout haut à la tempête qu'il est en train de traverser. Vendredi soir, sur la route 35, un camion semi-remorque et un autocar transportant l'équipe de hockey junior de sa ville sont entrés en collision. Un entraîneur, un entraîneur adjoint, un commentateur, un statisticien, un chauffeur d'autocar et 10 jeunes hommes de 16 à 21 ans sont morts ce soir-là.

« Ça touche des gens que je connais depuis des années, que je connais depuis toujours. » - Rob Muench, maire de Humboldt

« Tu sais, comme cet homme qui est venu me voir quand j'ai quitté l'aréna tout à l'heure... Celui qui s'est mis à pleurer », donne-t-il en exemple, avant de prendre une pause pour contenir ses propres émotions. « Je le connais très bien. »

APPRENDRE DU PASSÉ

Rob Muench n'a presque pas dormi depuis trois jours. Son téléphone ne dérougit pas. Après son entretien avec La Presse, il avait prévu aller faire une sieste. Deux heures plus tard, il était toujours à l'aréna. Comme Colette Roy-Laroche l'avait remarquablement fait lors de la tragédie de Lac-Mégantic, il est de tous les points de presse et immanquablement disponible pour les siens.

« Je n'ai pas parlé avec l'ex-mairesse de Lac-Mégantic. Mais ça pourrait être une bonne idée. Elle a aussi traversé quelque chose de tragique », pense-t-il, avouant que la voie ferrée qui traverse sa ville suscite d'ailleurs de nombreuses préoccupations. « Mais c'est une autre histoire. »

Quelques heures après la tragédie, M. Muench a reçu un appel du maire de Swift Current, une municipalité située à quelque 400 kilomètres de Humboldt. Le 30 décembre 1986, un autobus qui transportait les Broncos de Swift Current a fait une sortie de route, tuant quatre personnes. L'ex-hockeyeur professionnel Sheldon Kennedy était à bord de cet autobus, il y a plus de 30 ans. Depuis trois jours, il répète l'importance de ne pas sous-estimer les séquelles d'une tragédie semblable.

« Depuis le jour un, mon message a été : plus on en sait, mieux on fait. Et nous sommes mieux outillés aujourd'hui. Nous connaissons l'impact d'un traumatisme, nous connaissons le choc post-traumatique. Nous savons la durée que ça peut prendre pour s'en remettre. Les cicatrices qui restent toute la vie, ça existe », a-t-il déclaré en marge de l'annonce d'un programme d'aide mis en place par la Ligue de hockey junior de la Saskatchewan (SJHL).

SOUTIEN PSYCHOLOGIQUE POUR LES JEUNES JOUEURS

Hier midi, la SJHL a annoncé qu'elle mettrait en place un programme de soutien psychologique à long terme pour tous les joueurs, entraîneurs et bénévoles de la ligue. L'objectif est d'amasser 500 000 $ ; l'argent en excédent ira dans un fonds pour l'éducation en mémoire des victimes de l'accident du 6 avril 2018. Les coopératives locales et Federated Co-operatives Limited ont déjà versé 270 000 $.

« On se regardait en réunion en fin de semaine, et je disais qu'il fallait faire quelque chose pour nos joueurs, pas seulement maintenant, mais pour l'avenir, a déclaré aux médias Bill Chow, président de la SJHL. Comment s'occupera-t-on d'eux dans six semaines, six mois, six ans ? Il n'y a pas de durée déterminée pour la guérison, et c'est pour ça qu'on veut bâtir un programme sur le long terme. »

LES LUNDIS À VENIR

Les fleurs entourent encore le logo de l'équipe au centre de la patinoire, et les photos des joueurs sont toujours suspendues à l'une des extrémités, vestige de la veillée de dimanche soir. Mais, tranquillement, le quotidien reprend à Humboldt. Les nombreux intervenants de l'équipe de gestion de crise qui ont passé la fin de semaine à l'aréna s'étaient déplacés dans les écoles de la ville, hier.

« On espère qu'ils resteront aussi longtemps que nécessaire, mais on est conscients qu'éventuellement... On verra. On gère pas mal la situation au jour le jour », a avoué le maire Muench.

Humboldt, Saskatchewan, figure dorénavant dans les archives des médias du monde entier. Le premier ministre du pays y a effectué sa première et, possiblement, sa dernière visite. Des millions de dollars ont été envoyés des quatre coins du globe pour les familles accablées. Mais il y aura un « après ». Cet ex-joueur des Broncos venu serrer la main du maire devant la glace, Craig Sluser, a certainement eu les mots justes : « Le plus difficile, c'est quand tout le monde s'en va. »

« J'y ai pensé ce matin, a admis le magistrat municipal. Juste le fait que ce soit lundi, le début de la semaine... Je sais que toute l'attention était sur nous et que ça va diminuer. Mais je ne crois pas que nous serons laissés à nous-mêmes. La province a pris des engagements, tout comme le gouvernement fédéral. »

« Les gens qui nous ont approchés veulent véritablement nous aider et c'est rassurant parce que, comme l'a dit l'aumônier hier lors de la cérémonie, nous allons tous guérir, mais il restera des cicatrices. » - Rob Muench

Ainsi, un jour à la fois, la vie continue dans la modeste municipalité des Prairies canadiennes. À preuve, le conseil municipal de Humboldt a décidé de maintenir la séance d'hier soir.

« Nous avons un programme de bon voisinage, par exemple ceux qui déneigent l'entrée de leurs voisins. C'était prévu qu'ils viennent à la séance du conseil municipal de ce soir pour qu'on les remercie et qu'on prenne une photo de groupe, explique le maire. Même en pareilles circonstances, nous devons le faire. Ils sont importants aussi, et ça démontre l'essence même de notre communauté : l'entraide. »