Revenu Québec sévit contre les « terroristes de la paperasse »: une médecin de Québec qui avait décidé de ne pas payer un sou d'impôt est devenue la première adepte des Freemen on the Land condamnée à dédommager le fisc pour lui avoir fait perdre son temps avec des arguments à son avis « loufoques ».

Christine Banville, une omnipraticienne de Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, touchait sans problème des centaines de milliers de dollars de l'État en honoraires, mais avait décidé qu'elle ne devait rien lui reverser. Son cas est revenu devant la Cour d'appel lundi et sa condamnation date de l'automne dernier.

La juge au dossier s'est dite troublée par la possibilité qu'une professionnelle de la santé comme Christine Banville puisse adhérer à des idées qui n'ont « aucun sens » comme celles des Freemen on the Land, aussi appelés « Citoyens souverains ».

Cette mouvance complotiste rejette les lois et l'État, qu'il assimile à une vaste conspiration dont les individus pourraient s'extraire grâce à leurs prétendues connaissances juridiques et constitutionnelles. Des adeptes cessent de payer leurs factures, roulent en voiture sans plaque d'immatriculation et résistent vigoureusement aux autorités policières et fiscales.

La médecin avançait notamment que « christine banville » et « CHRISTINE BANVILLE » constituaient deux personnes distinctes qui avaient pris entente entre elles sous « juridiction maritime » afin d'échapper au fisc, avant d'évoquer une « juridiction d'amirauté ». Elle a aussi évoqué la Charte des droits et libertés, la Déclaration canadienne des droits et le Pacte internationale [sic] relatif aux droits civils et politiques.

La section antiterroriste du FBI a qualifié le mouvement des Freemen on the Land de « menace intérieure croissante » il y a quelques années. C'est ce corps de police qui a utilisé le premier l'expression « terroriste de la paperasse » (paper terrorist).

Le Collège des médecins du Québec n'a pas voulu révéler s'il enquêtait sur la Dre Banville. « Un médecin n'est pas obligé de déclarer à son ordre professionnel ce type de jugement rendu par la Cour du Québec », a indiqué Leslie Labranche, responsable des communications de l'ordre.

La Dre Banville n'a pas rappelé La Presse. Selon des registres publics, elle réside dans une maison d'une valeur de 1 million de dollars achetée au nom d'une fiducie familiale.

« C'EST UNE BONNE JURISPRUDENCE »

La Dre Banville a été condamnée à dédommager le fisc québécois à hauteur de 7500 $, en plus de devoir payer presque 150 000 $ en impôt provincial impayé pour les années 2014 et 2015.

Le comportement de la médecin « remet en cause le fonctionnement même de l'État », une situation particulièrement « inexplicable » vu que sa « rémunération provient de ce même État », a écrit la juge Geneviève Cotnam, de la Cour du Québec.

« Il est important de contrer ce type de procédure abusive. »

Chez Revenu Québec, on refuse de parler de nouvelle stratégie, tout en affirmant que cette victoire judiciaire pourrait inspirer d'autres procédures du genre.

« Pour nous, c'est une première. Dans ce cas, ça semblait justifié », a affirmé Geneviève Laurier, porte-parole de l'agence fiscale. « Pour nous, c'est une bonne jurisprudence. Ça s'inscrit dans l'optique où les lois fiscales s'appliquent à tous. Ça vient un peu lancer un message », a-t-elle ajouté.

L'avocat de Revenu Québec tentera lundi de convaincre la Cour d'appel du Québec de rejeter sa contestation. Mme Banville fait appel à des « concepts législatifs loufoques et sans fondement » et ses prétentions sont « décousues et dépourvues de tout sens », assène l'agence dans sa demande de rejet d'appel.

UN POIDS RÉEL

Les contribuables qui utilisent des arguments inspirés de mouvements comme Freemen on the Land grèvent les ressources de Revenu Québec, a expliqué Mme Laurier : « Oui, il y en a. Quand on fait requête par-dessus requête, c'est vrai que ça vient ajouter du poids. »

Dans sa décision, la juge Cotnam a aussi pris en compte le poids que Mme Banville a fait peser sur le système de justice. « Les procédures soulevant des arguments [comme ceux des Freemen on the Land] sont non seulement un fardeau pour la partie devant y répondre, mais également pour l'État, a-t-elle écrit. L'instruction de la demande en déclaration d'abus a mobilisé un juge, une greffière, un huissier-audiencier, un constable spécial et une salle d'audience pendant près d'une demi-journée. »

La Dre Banville était accompagnée au tribunal par un certain Denis Nadeau, que la juge a désigné comme étant un utilisateur connu des stratagèmes des Freemen on the Land.