Un gardien épuisé qui s'endort devant les écrans de surveillance, des rondes de nuit omises et un détenu suicidaire qui peut ainsi se donner la mort sans que personne intervienne. Les nombreuses heures supplémentaires qui permettent aux agents correctionnels d'arrondir leurs fins de mois peuvent mettre en danger les détenus et le personnel carcéral, selon une coroner. La famille du défunt, catastrophée, veut maintenant poursuivre le gouvernement.

Gaétan Laurion en était à sa quatrième tentative de suicide avec la même méthode lorsqu'il s'est finalement donné la mort, dans le secteur de l'infirmerie de la prison d'Orsainville, à Québec, une nuit de juin 2016. Sa cellule devait être surveillée en continu en raison du risque de suicide, mais le gardien responsable dormait devant ses écrans de surveillance.

Il avait travaillé 45 heures « dans les trois jours précédents », relate la coroner Alice Bélanger dans son rapport, évoquant un possible épuisement causé par les heures supplémentaires.

« Il semble que cette pratique soit commune à plusieurs employés puisqu'elle permet de bonifier de manière très substantielle leur revenu annuel. » Les rondes toutes les 30 minutes, dont un autre agent était responsable, ont aussi été omises pendant presque deux heures.

« C'EST ÉPOUVANTABLE »

La famille de M. Laurion a été profondément choquée par la lecture de ce rapport « à tomber sur le dos ».

« Ils le mettent dans une place sous caméras pour le surveiller et le gars dort. C'était en direct. Il avait le temps d'essayer de... », s'est désolée Lynda Tremblay, la veuve de M. Laurion. Le fils du couple « prend ça assez mal. C'est tough ».

« C'est épouvantable, c'est vraiment effrayant », a-t-elle continué. Avant l'obtention du rapport de la coroner, la famille ne réussissait pas à avoir de réponses à ses questions. Elle veut maintenant trouver un avocat et lancer des poursuites contre Québec.

« CONSÉQUENCES NÉFASTES SUR LA SÉCURITÉ »

En entrevue, la coroner a confirmé que l'éveil du gardien « aurait permis une intervention immédiate plutôt qu'une quarantaine de minutes plus tard ».

« Il n'y a pas de doute possible sur ce qu'il est en train de se passer », a-t-elle ajouté en commentant les images de vidéosurveillance. « Cette pratique des heures supplémentaires sans contingence pourrait avoir des conséquences néfastes sur la sécurité de l'[agent], mais aussi celle de ses collègues et des détenus, a écrit Me Bélanger. Il est reconnu que le manque de sommeil affecte de manière importante la concentration, la vigilance et l'attention, augmente le risque d'erreur et diminue le temps de réaction. »

L'agent qui s'est endormi avait travaillé en moyenne 15 heures par jour les trois jours ayant précédé le suicide.

CERTAINS « EN FONT TROP », DIT LE SYNDICAT

Le président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec, Mathieu Lavoie, refuse de blâmer ses membres pour la quantité d'heures supplémentaires qu'ils effectuent.

« On ne se bat pas pour qu'il y ait du temps supplémentaire. On se bat pour qu'il y ait des effectifs pour que nos établissements soient sécuritaires, a-t-il dit. Il faut embaucher, il faut avoir des recrues. Les gens en général sont capables de voir s'ils sont capables ou non. »

Le syndicaliste reconnaît que certains de ses membres « en font beaucoup ». « Je n'ai jamais été en faveur de ça, a-t-il dit. Il y en a sûrement qui en font trop dans le réseau. »

M. Lavoie a rappelé que les syndiqués n'étaient pas à l'abri d'heures supplémentaires obligatoires, comme celles qui ont fait les manchettes du côté des infirmières le mois dernier. Un gel des embauches décidé en 2015 a nui au réseau, a-t-il ajouté.

UN CHANGEMENT « IMPÉRATIF » OMIS

Huit mois avant la date fatidique, M. Laurion avait tenté à trois reprises de se pendre en fixant le lien à une pièce de la fenêtre de sa cellule. C'est à cette même pièce qu'il s'est pendu. Ces pièces ont toutes été retirées après sa mort. Il était impératif de les retirer dès après les premières tentatives, dit la coroner. Le ministère de la Sécurité publique n'a pas réagi au rapport, hier.

photo tirée de Facebook

Gaétan Laurion en était à sa quatrième tentative de suicide avec la même méthode lorsqu'il s'est finalement donné la mort, dans le secteur de l'infirmerie de la prison d'Orsainville, à Québec, une nuit de juin 2016.