Jacqueline Desmarais, grande mécène du monde des arts, notamment pour son apport exceptionnel au développement de l'art lyrique, s'est éteinte. Elle avait 89 ans.

Veuve de l'homme d'affaires Paul Desmarais (1927-2013) qui a mené les destinées de Power Corporation, Mme Desmarais est décédée samedi matin.

Depuis le début des années 80, Mme Desmarais s'est engagée dans une multitude de causes liées à la musique, à commencer par le Domaine Forget de Charlevoix, région où les Desmarais ont construit et aménagé leur immense domaine de Sagard. Ce premier engagement s'est multiplié et a mené la philanthrope jusqu'au conseil d'administration du Metropolitan Opera de New York où elle a aussi financé plusieurs oeuvres, surtout celles associées à des créateurs et artistes canadiens tels Yannick Nézet-Séguin, Layla Claire et Robert Lepage.

Mais la grande dame a aussi consacré une partie de ses engagements à d'autres causes telles la santé (hôpital Sainte-Justine) et les affaires communautaires (La rue des Femmes).

« Mécène et philanthrope, Jacqueline Desmarais soutient sans faillir le milieu de la musique depuis la fin des années 1970. Son immense générosité nourrit depuis des décennies la vitalité artistique, culturelle et communautaire de Montréal », indiquait le texte biographique rendu public lorsque le maire Denis Coderre l'a faite commandeur de l'Ordre de Montréal le 17 mai 2017, jour du 375e anniversaire de fondation de la ville.

Née Maranger en 1928, à Sudbury, en Ontario, Jacqueline Desmarais a fait des études en soins infirmiers à l'Université d'Ottawa à la fin des années 40. Déjà, nourrie par la passion de son père pour la chanson et l'harmonica, elle adorait la musique et chantait notamment du jazz. Un soir, alors qu'elle se rend voir un spectacle de Duke Ellington à la salle Standish Hall, à Hull, le grand musicien, informé de son talent de chanteuse, la fait monter à ses côtés sur la scène.

Le 8 septembre 1953, Jacqueline Maranger épouse Paul G. Desmarais, un jeune homme d'affaires de 26 ans qui gère la Sudbury Bus Lines, entreprise d'autobus de son père sise dans cette ville ontarienne. Le couple aura quatre enfants : Paul Jr, André, Louise et Sophie. Au fil des ans, M. Desmarais construira l'empire que l'on sait. Sa femme Jacqueline, qu'il appelait affectueusement Jackie, sera constamment à ses côtés, donnant un coup de main discret mais toujours efficace.

« M. Desmarais était un homme un peu timide, audacieux mais réservé. Jacqueline organisait sans cesse des réceptions et des dîners pour lui faire rencontrer des gens d'affaires et ça l'a beaucoup aidé dans sa carrière, a déclaré Gilles Loiselle, conseiller et proche ami de Paul Desmarais dans une entrevue accordée à Radio-Canada au lendemain de la mort du financier, en octobre 2013. Elle était toujours là quand il y avait une décision à prendre. Et, pour lui, Jacqueline, c'était sacré. »

LA MUSIQUE

Ses premiers pas dans le mécénat, Mme Desmarais les fait en 1981 au Domaine Forget, dans Charlevoix. Puis, en 1984, elle se joint au conseil d'administration de l'Opéra de Montréal. En mai 1989, elle fonde la Guilde de l'Opéra de Montréal, organisme voué autant à promouvoir les activités de l'Opéra qu'à lui assurer une meilleure assise financière. Un mois plus tard, elle annonce le versement d'un don de 100 000 $ à la Guilde.

Ces engagements ouvrent la voie à plusieurs autres dans le monde musical au fil des ans. En 1997, Mme Desmarais crée une fondation à son nom pour donner des bourses à de jeunes chanteurs d'opéra canadiens. Au fil des ans, plusieurs chanteurs aujourd'hui très connus, parmi lesquels on nommera Marie-Josée Lord, Marc Hervieux et Julie Boulianne, bénéficieront de ces dons leur permettant de parfaire leur art.

Un nouvel engagement de Mme Desmarais survient en février 2004 alors qu'elle participe à la fondation de l'Institut canadien d'art vocal. Elle consacre aussi temps et argent à l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM), à l'Orchestre Métropolitain de Montréal et au Metropolitan Opera de New York, dont elle devient membre du conseil d'administration en 2007.

Cette passion pour la musique classique et l'opéra, Mme Desmarais la doit en bonne partie à Pierre Béique (1910-2003), administrateur qui a participé à la fondation de l'OSM et qui était un ami intime des Desmarais.

« Il a commencé à m'inviter aux concerts de l'OSM, puis il a guidé mes pas vers l'opéra, dira-t-elle dans l'entrevue accordée à Alain de Repentigny. Le premier qu'il m'a suggéré d'écouter, c'est Le trouvère [Verdi] parce que tout est beau dans Le trouvère. Ç'a été un coup de foudre pour moi. »

La reconnaissance de Mme Desmarais envers M. Béique s'est exprimée de façon éclatante lorsqu'en 2014 est inauguré le Grand Orgue Pierre-Béique de la Maison symphonique de Montréal. L'achat de ce gigantesque instrument de 6489 tuyaux a été entièrement financé par Mme Desmarais. Le don est évalué à quelque 5 millions de dollars.

Ce ne sera pas la dernière contribution d'exception. On sait que Mme Desmarais a financé, en janvier 2012, l'achat d'un violoncelle Stradivarius fabriqué en 1707 pour l'usage de Stéphane Tétreault, étoile montante (il a alors 18 ans) de cet instrument. Le coût d'acquisition dépassait les 6 millions de dollars.

Discrète quant à la valeur de ses engagements financiers, Mme Desmarais a toujours préféré, dans ses rares entrevues et interventions publiques, évoquer son amour de la musique et de ses protégés, des chanteurs et musiciens d'exception qu'elle appelait parfois ses « enfants ».

Son grand intérêt pour le jeune chef d'orchestre Yannick Nézet-Séguin est connu de tous. C'est grâce à elle, à la suite d'une commandite de l'opéra Carmen en 2009, que M. Nézet-Séguin dirige une première fois l'orchestre du Met. Au printemps 2016, il en est nommé directeur musical. « C'est l'apothéose de ma carrière de mécène », dira alors Mme Desmarais en entrevue au collègue Luc Boulanger de La Presse.

AUTRES ENGAGEMENTS

Seule ou avec son mari, Jacqueline Desmarais sera une généreuse contributrice dans d'autres domaines. 

Ainsi, dans le milieu communautaire, la famille a généreusement contribué aux activités de fonctionnement de La rue des Femmes, organisme offrant un hébergement d'urgence aux femmes itinérantes de Montréal. Le 15 mai 2015, au moment de l'inauguration d'un troisième établissement d'hébergement, il était annoncé que l'édifice porterait le nom de « Maison Jacqueline ».

Depuis le milieu des années 80, la famille Desmarais a soutenu différentes initiatives du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine. Or, en octobre 2016, à la suite d'une autre contribution (12 millions de dollars) de cette famille et de Power Corporation pour la construction du Bâtiment des unités spécialisées (BUS), l'hôpital a attribué le nom de Mme Desmarais à l'édifice.

Pour l'occasion, Maud Cohen, présidente et directrice générale de la fondation CHU Sainte-Justine, a déclaré : « Mme Desmarais elle-même et son défunt mari, Paul G. Desmarais, sont des philanthropes visionnaires, fidèles et convaincus qui ont toujours cru en la mission du CHU Sainte-Justine [...] leur confiance a ouvert les portes à une quantité infinie de nouvelles avenues scientifiques, thérapeutiques et technologiques. »

UN ENGAGEMENT RECONNU ET ADMIRÉ

L'engagement exceptionnel de Mme Desmarais dans le monde des arts et de la société s'est traduit par l'attribution de nombreux prix, marques de reconnaissance, médailles et autres.

Nous avons déjà mentionné le doctorat de l'Université de Montréal et l'Ordre de Montréal. À cela, on peut ajouter, parmi d'autres, l'Ordre du Canada (avril 1999 ; élevé au titre d'Officier le 28 juin 2013), le Mérite philanthropique 2002 de la Chambre de commerce du Québec (avec son mari le 23 mai 2002), un hommage de la Fondation de la Place des Arts (juin 2011), l'Opera Canada Award (les Rubies, en octobre 2011), l'Ordre national du Québec (faite grande officière en 2012), la Légion d'honneur de la France (novembre 2011), le premier prix pour contributions exceptionnelles aux arts au Canada et aux États-Unis du Council for Canadian American Relations (30 avril 2014).

C'est d'ailleurs avec un extrait de l'hommage que lui a rendu l'ancien président Nicolas Sarkozy au moment de lui remettre la Légion d'honneur que nous terminerons ce tour d'horizon.

« Jacqueline Desmarais, a dit M. Sarkozy, vous faites partie de ces philanthropes qui essaient de rendre le monde meilleur. Celle que beaucoup de grands artistes appellent tout simplement Jackie aurait pu être une grande chanteuse. Elle a choisi d'être une mécène discrète, enthousiaste et pudique. »