Alors que le conseil de bande de Kahnawake applique un moratoire sur la production de cannabis sur son territoire, un homme d'affaires mohawk de la réserve développe avec des sociétés inscrites en Bourse deux projets distincts de serres de pot médical à Laval et Dorval.

Thomas Lahache, qui a roulé sa bosse dans le domaine de la construction et des transports, est président de deux entreprises qui sont à un stade avancé de leur demande de permis de production de cannabis médical auprès de Santé Canada, selon différents documents publiés sur le site SEDAR.

« Je pense que mon client vous dirait candidement que ce serait son rêve de créer une installation [de cannabis médical] assez considérable sur la réserve [de Kahnawake] et de créer de l'emploi, comme ç'a été fait avec les casinos », affirme l'avocat de M. Lahache, Me Timothé Huot.

Une des entreprises de M. Lahache - Sublime Culture inc. - développe une serre de plusieurs centaines de pieds carrés à Laval. L'installation, protégée par une haute clôture de fer, en est au « sixième stade d'inspection sur sept » pour obtenir son permis auprès de Santé Canada, selon un communiqué de la société inscrite en Bourse MYM Nutraceuticals, qui a acquis 51 % de l'entreprise de M. Lahache.

MYM Nutraceuticals développe parallèlement un projet de serres de 1,5 million de pieds carrés à Weedon, en Estrie (voir l'onglet précédent).

L'autre entreprise que préside M. Lahache est RoyalMax Biotechnologies, qui en est au stade d'inspection de son système de sécurité pour des serres de 10 000 pi2 en développement à Dorval, selon des documents publics de l'entreprise. La société en Bourse Matica Enterprises, de Toronto, possède 70 % de ce projet.

UNE ENTREPRISE DE TABAC

Selon des documents du Registre des entreprises du Québec, M. Lahache est également premier actionnaire depuis 2014 de Four Winds Tobacco Products, une entreprise de « produits du tabac, en particulier [de] cigarettes », établie à Kahnawake.

M. Lahache et son avocat, Me Timothé Huot, ont cependant insisté à plusieurs reprises, lors de différentes entrevues cette semaine, pour dire que cette Four Winds Tobacco Products n'a jamais été active. « C'est une entreprise qui a été incorporée et qui a obtenu une licence fédérale pour un projet qui n'a jamais levé en Alberta. Elle est complètement inactive », a affirmé M. Lahache.

Four Winds Tobacco a notamment possédé les marques de commerce Playfare's et NEXX, qui sont des cigarettes autochtones vendues dans la réserve, mais elles n'ont jamais été exploitées commercialement par l'entreprise, assure l'avocat. 

« M. Lahache n'a pas d'intérêt dans la cigarette, n'exploite pas un commerce de cigarettes ni à Kahnawake ni ailleurs. Le tabac n'a rien à voir dans les projets de Sublime Culture et RoyalMax. Le tabac autochtone n'est pas associé à ça, zéro, rien, ce n'est pas vrai. »

- Me Timothé Huot, avocat de Thomas Lahache

Santé Canada ne donne aucun détail révélant l'identité des investisseurs en attente d'un permis de production de cannabis médical, mais à notre connaissance, M. Lahache serait l'un des rares hommes d'affaires du Québec, sinon le seul, qui serait sur le point d'obtenir deux permis pour des entreprises distinctes.

SON STATUT D'AUTOCHTONE LUI DONNE-T-IL UN AVANTAGE ?

Depuis deux ans, le conseil de bande de Kahnawake impose un moratoire sur la vente, la distribution et la production de cannabis médical et récréatif sur son territoire. « C'est pour donner le temps au conseil de consulter la communauté, et aussi pour éviter que les lois provinciales d'application générale s'appliquent sur le territoire autochtone, précise l'avocat Éric Doucet, consultant juridique du conseil de bande. C'est un peu une question de juridiction. Le moratoire va s'appliquer jusqu'à ce que le conseil adopte sa propre loi, sans qu'un règlement extérieur leur soit imposé. »

Le fait qu'un Mohawk de Kahnawake possède des serres de cannabis à l'extérieur de la réserve « n'est pas de la juridiction du conseil », ajoute Me Doucet.

Le statut d'autochtone de M. Lahache, qui l'exempte de payer certains impôts et taxes et lui permet d'habiter dans la réserve, pourrait-il lui apporter un avantage quelconque par rapport à un autre producteur de cannabis canadien ?

Son avocat croit qu'une telle chose n'est pas possible pour le moment : « Pour des raisons que j'ignore, les conseils de bande ne permettent pas aux gouvernements fédéral ou provinciaux de pénétrer sur la réserve pour des fins de vérification, d'enquête ou même de saisie pénale sans le consentement du conseil de bande. Je ne sais pas d'où ça vient, ce n'est écrit dans aucune loi, mais ce sont les gouvernements qui ont accepté cette forme de quasi-souveraineté sur les réserves. Alors dire que [M. Lahache] pourrait s'installer et cultiver du pot sur la réserve et être à l'abri du regard policier ou réglementaire, c'est faux, parce que les gouvernements [qui délivrent les permis de production de cannabis] ne permettront pas à un producteur de cannabis d'être sur une réserve si on ne peut pas vérifier de façon inopinée les opérations », ajoute l'avocat.

Un droit ancestral de cultiver du pot ?

Spécialisé en droit fiscal, Me Huot a défendu par le passé des propriétaires mohawks de stations d'essence de Kahnawake qui ont été poursuivis par Revenu Québec pour avoir vendu de l'essence sans taxes à des non-autochtones. « Est-ce qu'une personne pourrait argumenter qu'il y a un droit autochtone ancestral à exploiter le cannabis de façon différente d'un autre Canadien ? Je dirais que non, estime Me Huot. Mais je vous dirais qu'on pourrait imaginer facilement que quelqu'un voudrait plaider cet argument-là. J'ai essayé de faire un argument constitutionnel semblable pour protéger [des propriétaires de stations d'essence de Kahnawake] contre des contraintes fiscales excessives et je me suis fait matraquer par les tribunaux », reconnaît-il.