L'animateur Jacques Languirand, connu pour son émission de radio Par 4 chemins, diffusée pendant plus de quatre décennies sur les ondes de Radio-Canada, est mort des suites de la maladie de l'Alzheimer à l'âge de 86 ans.

Sa famille a fait cette annonce par communiqué cet après-midi.

La famille de l'animateur et homme de lettres a annoncé qu'une cérémonie intime entre proches aurait lieu prochainement.

Un rire reconnaissable entre mille

L'animateur Jacques Languirand, connu pour son émission de radio Par 4 chemins, diffusée pendant 43 ans sur les ondes de Radio-Canada, est mort des suites de la maladie de l'Alzheimer à l'âge de 86 ans. Sa famille en a fait l'annonce par communiqué hier après-midi.

Touche-à-tout à la curiosité insatiable, cet homme à la voix reconnaissable entre mille a été à la fois dramaturge, écrivain, comédien, réalisateur, metteur en scène, professeur et producteur au fil d'une carrière qui s'étend sur sept décennies.

Jacques Languirand avait de ces rires homériques qui donnaient à croire que la vie avait toujours été bonne pour lui. Au contraire. Ce n'est que dans la cinquantaine que ce disciple de Pythagore et de McLuhan parviendra à trouver un semblant de sérénité.

Il voit le jour à Montréal le 1er mai de 1931. Sa mère, Marguerite, meurt alors qu'il n'a que 3 ans. Son père, Clément, un enseignant, entretiendra jusqu'à la fin de sa vie une relation conflictuelle avec son fils. Il n'hésitait pas à le battre pour marquer sa domination. Plus tard, ce sera par des missives qu'il fera connaître sa désapprobation quand le fils atteindra à la notoriété. Jacques Languirand sera sévèrement éprouvé par cette présence tyrannique. Tenté par la délinquance, il sera renvoyé de deux collèges.

L'air de Paris

Le monde du théâtre le fascine et il essaie de se rapprocher de la troupe des Compagnons de Saint-Laurent. Un de ses amis est à Paris et, à 19 ans, il décide d'aller le rejoindre. Avant de partir, il prend des arrangements avec des publications artistiques locales pour devenir leur correspondant là-bas. Bien qu'il ne soit pas payé, il aura au moins les lettres nécessaires pour s'introduire dans la vie parisienne. 

Il décroche un emploi à la RDF (Radiodiffusion française) comme chroniqueur. Il aura pour patron le grand poète de la Résistance, Pierre Emmanuel, qui lui apprend les premiers rudiments du métier de journaliste. Il interviewe entre autres Claudel, Montherlant et Cocteau. Ses amis dans la capitale française ont pour nom Hubert Aquin et François Hertel. Après quatre ans de séjour, une pleurésie le ramène à Montréal.

En juillet 1953, il entre au service international de Radio-Canada. C'est là qu'il fait la rencontre de Judith Jasmin et de René Lévesque. Peu de temps après, il fait la connaissance de Yolande Delacroix-Pelletier, qui a été décoratrice à la télé de Radio-Canada et maquilleuse. C'est le coup de foudre. Il retourne à Paris et oeuvre pour un producteur de films. Il épouse Yolande. Hubert Aquin, qui est devenu entretemps réalisateur à la radio de Radio-Canada, lui commande des textes. De son côté, la télévision naissante ouvre des perspectives. Et c'est René Lévesque qui lui demande de se joindre à son émission d'affaires publiques, Carrefour.

Succès et échecs au théâtre

En 1956, Languirand crée sa première pièce de théâtre, Les insolites, présentée au Gesù et qui lui vaudra de décrocher les trophées Arthur-Wood et Sir Barry Jackson de la meilleure pièce canadienne. Ce qualificatif d'insolite collera longtemps à la personne de Languirand. 

Encouragé par ce succès, il fonde le théâtre de Dix heures dans ce qui était l'ancien cabaret du Saint-Germain-des-Prés. Mais l'expérience est peu concluante. Il travaillera sans relâche pour Radio-Canada, tant à la radio qu'à la télé, signant des adaptations théâtrales ou comme journaliste d'affaires publiques.

Les affaires vont rondement, mais Languirand a l'impression de faire du surplace. En 1961, il retourne à Paris pour deux ans. Bonne nouvelle du Canada, il obtient le Prix du Gouverneur général du Canada pour son livre regroupant Les insolites et Les violons de l'automne

C'est pour cette dernière oeuvre théâtrale qu'il entreprend de se muer en producteur et de louer le théâtre de la Comédie de Paris. La critique française éreinte la pièce qui fait un four.

Retour à Montréal où il coanime Aujourd'hui avec Michelle Tisseyre. Il ne se fait pas que des amis. Certains vont jusqu'à le trouver pédant. Pris en grippe par des recherchistes dont il ne veut pas devenir le perroquet, il finit par être renvoyé de Radio-Canada. 

Languirand était déjà secrétaire général du Théâtre du Nouveau Monde. Le milieu du spectacle lui doit une technique de marketing qui sera largement reprise depuis : quand la billetterie est faible, il met en marche un réseau de ventes de billets à rabais qu'on écoule auprès de groupes cibles. L'année précédant l'Exposition universelle de Montréal, il travaillera d'arrache-pied pour la conception de pavillons thématiques à la fine pointe du multimédia. L'argent coule à flots, mais fond aussi vite.

En 1967, il se lance dans l'aventure culturelle la plus catastrophique de sa carrière : la fondation du Centre culturel du Vieux-Montréal dans l'emplacement de l'ancienne Bourse de Montréal (aujourd'hui Théâtre du Centaur). Le fédéral a consenti 100 000 $ en subventions. On s'attendait à une contrepartie du gouvernement provincial qui n'est pas venue. Le Centre ouvre ses portes en novembre, pour les fermer un mois plus tard ! En découle une faillite de plus d'un demi-million de dollars. Languirand entre en dépression et sera obligé de suivre une thérapie. De là naîtront de grands questionnements sur le sens de la vie.

Par 4 chemins

Une fois remis de ses émotions, il deviendra professeur à l'École nationale de théâtre et chargé de cours à l'Université McGill. Il deviendra par la suite, et durant 12 ans, professeur titulaire en communication de cette dernière institution. L'ironie du sort veut que lui, l'autodidacte, devienne professeur d'une université qui ne l'aurait sans doute jamais accepté comme élève... Curieux de tout, Languirand fait l'expérimentation de drogues psychédéliques. Il note quasi scientifiquement ses observations. 

Le 13 septembre 1971, c'est la première de Par 4 chemins, cette émission radiophonique culte de Radio-Canada. D'abord une quotidienne où le communicateur fait la somme de toutes ces lectures qui mêlent spiritualité, ésotérisme et sciences humaines. Des propos ponctués de son célèbre rire « tripatif ». L'animateur prend soin de ne pas succomber à la tentation de devenir une sorte de gourou. Il publie De McLuhan à Pythagore sorte de grammaire de la communication.

Son père meurt le 29 août 1980. Languirand est presque soulagé. Avec son épouse Yolande, il ouvre non loin de Cowansville le Centre Mater Materia, qui se veut un lieu de réflexion sur la condition humaine. Il collabore intensément avec l'ex-jésuite et philosophe Placide Gaboury. 

Languirand est débordé. Il se multiplie en conférences, émissions à préparer, livres en chantier. Il fait constamment la navette entre sa maison principale à Westmount et le Centre qui s'avère plus accaparant qu'il ne le pensait. Le couple se voit contraint de le fermer cinq ans plus tard en 1985. C'est le burn-out pour Languirand dont il témoigne dans un livre à succès, Prévenir le burn-out

Le 1er mai 1991, on marquera le coup en commémorant cinq anniversaires : 42 ans comme acteur majeur du monde de la communication, 35 ans de ses débuts à Radio-Canada et la création des Insolites, les 20 ans de Par quatre chemins, et son 60e anniversaire. Toute la journée, Radio-Canada le fête à travers diverses émissions.

Au fil du temps, Jacques Languirand avait pris ses distances avec le théâtre. Il aura fallu une demande de Robert Lepage pour qu'il remette le pied à l'étrier comme comédien dans la trilogie de Shakespeare monté par ce dernier. C'est l'occasion d'une tournée internationale.

Le 23 juin 1997, Yolande s'éteint, victime d'une embolie cérébrale. Languirand mesure ce qu'il doit à celle qui l'a accompagné dans cette vie parsemée d'embûches. L'année suivante, en février, il fait la rencontre de Nicole Dumais qui prendra le relais dans sa vie amoureuse. 

Le mois suivant, Jacques est hospitalisé trois fois en moins d'une semaine. On procède à deux angioplasties. Depuis des années, il souffrait de problèmes artériels et devait recourir à de la nitroglycérine. Mais Languirand ne s'inquiète pas outre mesure à l'idée de mourir. Il dira voir la mort comme un voyage psychédélique et cette croyance avait tout pour le réconforter. 

Du caractère jusqu'à la fin

Jusque dans les dernières années de sa vie, il aura fait preuve de caractère. On n'oubliera pas de sitôt ce scandale qu'il provoquera à l'occasion de la conférence de presse en marge du dévoilement de la programmation de Radio-Canada l'été 2011. Vexé de ne pas avoir été invité à monter sur la tribune au même titre que les autres animateurs, il fait un esclandre remarqué devant les journalistes et invités. Dès le lendemain, la direction de la radio le suspendra de son émission. 

Languirand poursuivra alors sa participation à l'émission Repères au canal Vox, qu'il avait initiée plus tôt sur le web. 

Un mois plus tard, Languirand rencontrera la direction et admettra que ses propos étaient déplacés. Radio-Canada passant l'éponge, il retrouvera le micro en octobre suivant pour une 41e saison d'affilée.

En janvier 2014, l'animateur annonce que l'émission Par 4 chemins du 1er février suivant sera sa dernière. « Je me retire de la vie publique. Je retourne dans mes terres profondes, dans le labyrinthe de ma mémoire. Sachez que je vous ai beaucoup aimés, que j'ai beaucoup travaillé pour vous pendant toutes ces années », déclare-t-il dans un communiqué. L'homme avait reçu un diagnostic d'Alzheimer deux ans plus tôt.

Sa biographe Le cinquième chemin paraît en octobre de la même année, aux Éditions de l'Homme.

En 2016, Line Beaumier, ex-compagne de la fille de Jacques Languirand, Martine, accuse publiquement l'animateur à la retraite d'avoir entretenu une relation incestueuse avec cette dernière, qui est morte l'année précédente. Ces allégations sont accueillies avec « un profond désarroi » par la famille de Jacques Languirand, qui souffre alors d'Alzheimer à un stade avancé.

Hier, la famille de l'animateur et homme de lettres a dit souhaiter vivre son deuil en privé et a annoncé qu'une cérémonie intime entre proches aurait lieu prochainement.

Photo archives La Presse

Jacques Languirand dans les années 1970.