Depuis jeudi, « Québec Gold Marijuana », le nom d'une souche célèbre de pot issue du marché noir, est officiellement la marque déposée d'une entreprise de Laval dûment accréditée par Santé Canada pour faire pousser du cannabis à des fins médicales.

« On a enregistré le nom à l'Office de la propriété intellectuelle parce qu'on est des producteurs fièrement québécois, des vrais », lance Stéphane Papineau, propriétaire d'Agri-Médic ASP, devenue la quatrième entreprise québécoise à obtenir une licence de production de cannabis de Santé Canada. À lui seul, l'Ontario compte 45 des 82 permis délivrés par le gouvernement fédéral, qui devraient permettre de produire de la marijuana à des fins récréatives dès la légalisation.

« Ça fait quatre ans et un mois que j'attends cette accréditation. Le Québec a complètement perdu la course dans le marché légal du cannabis. On fait face à des monstres venus de l'Ontario et de la Colombie-Britannique. On est complètement envahis par des entreprises de l'Ouest. »

- Stéphane Papineau, propriétaire d'Agri-Médic ASP

M. Papineau possède aussi depuis des années le magasin d'équipement hydroponique Univert 5 saisons, situé tout juste à la sortie du pont Jacques-Cartier, à Montréal.

PEU D'INVESTISSEURS QUÉBÉCOIS

En plus d'accréditer l'entreprise de M. Papineau, Santé Canada a délivré jeudi un permis de production à Vert Cannabis, de Saint-Lucien, près de Drummondville. Lancée par le Québécois Dany Lefebvre en 2013, cette serre intérieure de 7000 pieds carrés attendait depuis des années l'autorisation du fédéral pour que puisse démarrer l'exploitation.

À court de liquidités et n'ayant aucune idée du degré d'avancement de son dossier chez Santé Canada, le propriétaire a vendu une part majoritaire de son entreprise à l'ontarienne Canopy Growth, qui vient tout juste de s'associer aux Serres Stéphane Bertrand, de Mirabel, pour y transformer d'ici un an les serres de tomates roses de 700 000 pieds carrés en un vaste champ de cannabis intérieur.

Ces deux nouveaux acteurs québécois feront aussi concurrence à l'usine Aurora-Vie, sur le boulevard Hymus, à Montréal, que des investisseurs québécois à court de liquidités ont cédée à l'entreprise de Colombie-Britannique Aurora Cannabis, en avril dernier, alors que Santé Canada tardait à leur délivrer leur accréditation.

Un investisseur québécois s'est plaint cette semaine à La Presse que plusieurs des producteurs de cannabis inscrits en Bourse excluaient volontairement les résidants du Québec de leurs cycles de financement parce qu'ils refusent de franciser leurs prospectus. C'est le cas d'Aphria et d'Organigram, deux producteurs dont les prospectus s'adressent à toutes les provinces canadiennes, « à l'exception du Québec ». Cette pratique est tout à fait légale, selon l'Autorité des marchés financiers. « Les émetteurs demeurent libres d'offrir leurs titres auprès des investisseurs qu'ils souhaitent, dans les provinces qu'ils veulent », explique le porte-parole Sylvain Théberge.

Hydropothicaire, de Gatineau, reste une des seules entreprises du secteur entièrement établies et dirigées à partir du Québec.

UN « MICROPRODUCTEUR »

Avec seulement 4000 pieds carrés exploitables au départ, Agri-Médic ASP sera un bien petit acteur face à ce géant québécois qui exploitera 1,3 million de pieds carrés d'ici l'an prochain.

« Je serai quand même un des premiers Québécois qui va produire du cannabis légal, et mon marché, c'est très clairement le Québec, assure Stéphane Papineau. Pas question qu'on aille tenter notre chance ailleurs au Canada, la concurrence est beaucoup trop forte. Avec seulement 4000 pieds carrés exploitables pour le moment, on est vraiment un "microproducteur". Les gens de Santé Canada nous ont même dit qu'on est les plus petits au pays. » Son équipe est composée de quatre personnes en tout, dont une titulaire d'une maîtrise en biologie qui sera responsable du contrôle de la qualité et d'un horticulteur qui a étudié à l'École des métiers d'horticulture de Montréal, partenaire du Jardin botanique.

M. Papineau compte cependant prendre rapidement de l'expansion. « J'ai des actionnaires qui sont prêts à investir 1,5 million pour qu'on agrandisse l'usine à 22 000 pieds carrés et ce sont tous des Québécois », affirme M. Papineau.

QUATRE PRODUCTEURS AUTORISÉS AU QUÉBÉC

Hydropothicaire

Établie à Gatineau, l'entreprise a été lancée par l'homme d'affaires Sébastien Saint-Louis et son beau-frère Adam Miron, un ancien directeur national du Parti libéral du Canada. L'entreprise inscrite en Bourse exploite actuellement près de 300 000 pieds carrés de serre, où travaillent une centaine d'employés. L'homme d'affaires montréalais Vincent Chiara, propriétaire du Groupe Mach et associé de la famille Saputo, siège à son conseil d'administration.

Vert Cannabis (Canopy Growth)

L'entreprise de Saint-Lucien, dotée d'une capacité de production de 7000 pieds carrés, est l'un des microproducteurs que le géant ontarien Canopy Growth entend utiliser pour alimenter le marché québécois. L'usine commencera officiellement sa production en janvier prochain. « On va probablement y exploiter de nouvelles variétés spécifiquement pour le Québec », affirme le responsable pour le Québec de Canopy Growth, Adam Greenblatt. Quant aux Serres Stéphane Bertrand, de Mirabel, que Canopy Growth entend exploiter dans le cadre d'une coentreprise, la demande d'accréditation vient tout juste d'être soumise à Santé Canada et son approbation pourrait prendre plus d'un an.

Aurora-Vie (Aurora Cannabis)

Rachetée d'investisseurs québécois en avril dernier, cette usine de 40 000 pieds carrés a ouvert ses portes aux médias au début de décembre. Dotée d'un équipement ultramoderne, une partie de sa production pourrait éventuellement être exportée vers d'autres pays, dont l'Allemagne, a indiqué son vice-président Cam Battley lors d'une récente entrevue à La Presse.

Agri-Médic ASP

Malgré la longue attente pour l'obtention d'un permis, l'entreprise a déjà de l'expérience en production de cannabis médical. Son propriétaire, Stéphane Papineau, avait un permis de « producteur désigné » sous l'ancien régime mis en place par le gouvernement Harper, mais qui a été aboli en 2014. Ce statut permettait à des titulaires de permis de consommation de désigner une personne comme producteur exclusif de cannabis, sans que des installations particulières soient exigées. « On a fait entièrement notre recherche et développement sous ce régime », affirme M. Papineau.