Une cinquantaine de groupes communautaires recevront entre 10 000 et 30 000 $ du fonds d'urgence annoncé le mois dernier par le gouvernement Couillard pour aider les victimes d'agression sexuelle. Pour plusieurs groupes, ce coup de pouce ponctuel est largement insuffisant.

UN « OURAGAN SOCIAL » QUI SE CONCRÉTISE

Québec a débloqué le fonds d'aide de 1 million dans la foulée des dénonciations en série des agissements d'Éric Salvail et de Gilbert Rozon, le mois dernier. Les ministres Hélène David (Condition féminine) et Lucie Charlebois (Santé publique) disaient vouloir aider les groupes communautaires à composer avec l'« ouragan social » engendré par le mouvement « Moi aussi ». Or, cet ouragan a bel et bien eu lieu, si bien que la demande a explosé dans les centres d'aide. Le Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS) affirme que les demandes d'aide ont triplé en 10 jours, et la hausse ne cesse de prendre de l'ampleur depuis.DE 10 000  À 30 000 $

Les organismes communautaires qui viennent en aide aux victimes d'agression sexuelle ont appris, la semaine dernière, combien ils recevront grâce à l'enveloppe annoncée par Québec. Au total, 47 groupes toucheront des sommes qui varient entre 10 800 et 28 400 $. Un seul groupe recevra davantage, mais il couvre à lui seul toute la région de Québec.

EMBAUCHE

L'argent de Québec permet aux groupes de fournir davantage de services à leur clientèle. Une somme de 10 000 $ permet d'embaucher une intervenante pour environ trois mois, illustre la porte-parole du RQCALACS, Stéphanie Tremblay. Dans plusieurs cas, les délais d'attente sont si longs que l'argent frais ne permettra même pas de les éliminer, encore moins d'accueillir les nouvelles victimes qui chaque jour communiquent avec les centres. « Ça va aider, c'est certain, on ne peut pas dire que ça va nuire, dit Mme Tremblay. Mais ce n'est même pas suffisant pour répondre à l'augmentation [des demandes] qui est due à la conjoncture actuelle. »

« CRI DU COEUR »

Les intervenants joints par La Presse au cours des derniers jours sont unanimes : l'argent est le bienvenu, mais les sommes sont nettement insuffisantes. À La Traversée, sur la Rive-Sud de Montréal, les victimes qui souhaitent être suivies en thérapie doivent patienter jusqu'à un an et demi sur la liste d'attente. Le directeur de l'organisme, Philippe Angers, lance un « cri du coeur », selon sa propre expression. Il soutient que les 28 000 $ qu'il a reçus en aide ponctuelle n'auront qu'un effet « minime » sur la capacité de l'organisme à intervenir efficacement auprès des victimes. « On a eu plus d'appels, dit-il. Mais quand vous dites à la personne que ça va prendre plus d'un an avant qu'on s'occupe d'elle, qu'est-ce que vous pensez qu'elle va faire ? » « C'est bien beau de voir la femme rapidement, renchérit Isabel Fortin, de l'organisme Trêve pour Elles, à Montréal. Mais si, après ça, elle est en attente huit mois, ce n'est pas mieux. »

JUSQU'À CINQ FOIS PLUS D'APPELS

La Fondation Marie-Vincent, à Montréal, reçoit cinq fois plus d'appels qu'à la normale, ces jours-ci. Le nombre de demandes de prise en charge a doublé. L'organisme a reçu un peu plus de 28 000 $ du fonds d'urgence. « Si la hausse de la demande est seulement ponctuelle, l'aide va être suffisante, estime Marie-Hélène Juneau, directrice des communications de l'organisme. Mais si la hausse perdure dans le temps et qu'on va toujours avoir le même nombre de demandes de services, alors ça va être clairement insuffisant. »

FINANCEMENT RÉCURRENT

Le gouvernement Couillard a annoncé la tenue d'un forum de réflexion sur les agressions sexuelles le mois prochain. Or, selon la députée du Parti québécois Catherine Fournier, Québec aurait plutôt dû augmenter le financement des organismes communautaires. Cette demande a maintes fois été exprimée par le milieu au cours des dernières années. « Ils ont vraiment un manque de ressources criant, souligne Mme Fournier. Si on se met dans la peau d'une victime d'agression qui a décidé de prendre son courage à deux mains, d'aller demander de l'aide et que, finalement, elle se fait répondre que ça va prendre deux mois parce que l'organisme n'a pas les ressources nécessaires pour l'aider, c'est extrêmement problématique. »

STRATÉGIE EN PLACE

Le gouvernement Couillard n'a pas indiqué hier si le financement des organismes communautaires sera révisé à la hausse. La porte-parole de la ministre Charlebois, Bianca Boutin, a rappelé que Québec a annoncé l'an dernier une stratégie pour prévenir et contrer les violences sexuelles. « Cette somme sert notamment à soutenir financièrement les organismes communautaires qui interviennent auprès des victimes d'agressions sexuelles », a relevé Mme Boutin. Le plan annoncé dans la foulée de l'affaire Gerry Sklavounos est doté d'une enveloppe de 200 millions sur cinq ans, mais les investissements nouveaux ne s'élèvent qu'à 26 millions.