La légalisation du cannabis inquiète les parents et les policiers. Mais les employeurs sont tout aussi préoccupés. Jusqu'ici, le gouvernement du Québec ne peut répondre aux questions précises soulevées par le patronat, à quelques jours du dépôt, à l'Assemblée nationale, du projet de loi encadrant l'usage du cannabis.

« Il y a beaucoup d'inquiétude chez les employeurs. Ils ont l'obligation d'assurer la santé et la sécurité de leurs employés, mais avec la légalisation du cannabis, ils constatent qu'ils ont bien peu de moyens de vérifier si leur employé est sous l'effet de la drogue », souligne Stéphane Forget, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ).

Le Code criminel est très contraignant pour les employeurs, rappelle-t-il. On y précise : « Il incombe à quiconque dirige l'accomplissement d'un travail ou l'exécution d'une tâche [...] de prendre les mesures voulues pour éviter qu'il n'en résulte de blessures corporelles pour autrui. »

Comme le Conseil du patronat et la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, la FCCQ avait témoigné aux consultations lancées par la ministre de la Santé publique, Lucie Charlebois, en septembre.

Marc Cadieux, président de l'Association du camionnage du Québec, ne cache pas que son industrie est très inquiète des lendemains de la légalisation. Les camionneurs qui traversent la frontière américaine doivent se soumettre à des tests obligatoires. La loi américaine exige que les transporteurs souscrivent à des firmes qui certifient ces tests pour la drogue et l'alcool ; les tests aléatoires, interdits par les chartes des droits au Canada, sont permis.

La responsabilité des propriétaires de flottes de camions pourrait être en jeu. Si un employeur semble ne pas avoir mis en place des mesures de contrôle suffisantes, s'il n'y a aucune politique à ce sujet dans l'entreprise, par exemple, il pourrait théoriquement être tenu juridiquement responsable d'un accident.

TESTS AUX EMPLOYÉS

Selon les informations obtenues par La Presse, le projet de loi, qui sera vraisemblablement déposé mercredi prochain, ne contient aucune disposition spécifique pour encadrer l'usage du cannabis par des employés, sur place ou hors des lieux de travail. On ne donne pas non plus de pouvoirs particuliers aux employeurs pour demander aux salariés de se prêter à des tests. Pour la FCCQ, les employeurs ne seront pas autorisés à procéder à des tests pour « agir de manière préventive ».

En 2013, la Cour suprême avait statué qu'un employeur devrait démontrer qu'un salarié avait « un problème généralisé de drogue ou d'alcool » pour pouvoir lui faire subir un test.

Bien des gens soulignent que, même de nos jours, rien n'empêche un employé de consommer du cannabis. « Mais on peut intervenir parce que c'est quelque chose d'illégal », observe M. Forget.

Il faut aussi s'interroger sur les effets de la consommation sur les aspects psychologiques, la motivation au travail, l'absentéisme ou la productivité des salariés. La FCCQ proposait que l'âge minimal pour consommer de la marijuana soit porté à 21 ans ; le projet de loi retiendra plutôt 18 ans.

Pour Martine Hébert, vice-présidente principale de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, les patrons s'inquiètent qu'un employé intoxiqué puisse se blesser et qu'ils en soient tenus responsables. La faible fiabilité des tests rendra difficile pour les employeurs de démontrer leur responsabilité. « Quand on légalise un produit, l'intervention qu'un employeur peut faire se trouve limitée. Si un employé boit du vin dans son thermos, c'est visible. S'il mange des muffins au pot plutôt qu'aux bleuets, cela risque d'être plus difficile. »

Pour Yves Thomas Dorval, du Conseil du patronat, il y a un grand risque que la libéralisation de l'usage du cannabis augmente la consommation. Les jeunes de moins de 25 ans consomment davantage que les aînés, mais ces derniers sont probablement gênés d'acheter un produit illégal. Avec la levée de ce frein, la consommation devrait augmenter, observe M. Dorval.

« Les employeurs voulaient pouvoir faire du dépistage. Or, les tribunaux s'opposent à ce qu'il y ait des tests aléatoires. Même si c'était possible, a-t-on les outils pour le mesurer ? » Pour les employeurs, cette légalisation « est un risque réel qui soulève une inquiétude certaine », observe M. Dorval.