Une époque se termine à Saguenay. Après 20 ans au pouvoir, le maire Jean Tremblay ne se représente pas. Celui qui avait mené un combat acharné pour le droit de réciter la prière à l'hôtel de ville affirme partir sans regret. Il laisse un bilan mitigé. La Presse a rencontré ceux qui l'ont aimé, ceux qui l'ont moins aimé et ceux qui veulent le remplacer.

Le 5 novembre, Jean Tremblay ne sera plus maire de Saguenay. Il a choisi de ne pas se représenter. Son passage de 20 ans à l'hôtel de ville lui aura valu bien des controverses et quelques ennemis. Le politicien bagarreur tourne la page. Il entend se consacrer à sa foi catholique, « la plus belle religion » qui soit.

Au mur de son bureau, le maire Jean Tremblay garde des photos de famille. Il y en a une de sa femme, Linda. En 20 ans, elle a toujours refusé d'être sous les projecteurs. Sauf une fois en 2015, lorsqu'elle a volé au secours de son mari qu'un député péquiste venait de comparer à Rob Ford, l'ancien maire sulfureux de Toronto.

Puis à un autre mur, un crucifix. La foi du maire sortant de Saguenay est bien connue. Dans les dernières années, tandis qu'à peu près tous les partis politiques de la province parlaient de laïcité, Jean Tremblay faisait l'inverse. Il militait activement pour que la religion catholique occupe une place prédominante dans la sphère publique québécoise.

«Si la religion catholique s'effrite, une autre viendra prendre sa place. Pour moi, la religion catholique est la plus belle, c'est celle fondée par le Christ, fait valoir Jean Tremblay. Je trouve ça déplorable de voir qu'on remplace ça par un paquet de religions.»

Lorsqu'en 2006, un citoyen de Saguenay s'est plaint à la Commission des droits de la personne de la prière avant les réunions du conseil municipal, Jean Tremblay est monté aux barricades. Il n'était pas question de la sacrifier. L'affaire s'est rendue jusqu'en Cour suprême.

Le plus haut tribunal au pays a conclu en 2015 que la prière allait à l'encontre du droit à la liberté de religion de ses concitoyens. À l'heure des bilans - il ne se représente pas -, le maire sortant croit que ce jugement défavorable n'est pas un échec.

«Le combat pour la prière, c'est le plus beau combat de ma vie. Est-ce que j'ai vraiment perdu? La société était rendue là, et il fallait avoir la réflexion», estime M. Tremblay.

Il se demande si son combat a été plus sévèrement jugé que d'autres faits au nom de la religion, comme celui des sikhs pour le port de symboles religieux. «Le nouveau chef du NPD, Jagmeet Singh, était au Lac-Saint-Jean récemment. Tout le monde est en vénération devant lui. Mais si au lieu d'un turban, il portait un crucifix, je ne sais pas ce qu'on dirait.»

Des villes «tapées» ensemble

Le dossier de la prière a été le plus médiatisé du règne de Jean Tremblay. C'est la raison pour laquelle il se fait reconnaître dans les magasins à Montréal, comme il le raconte. C'est la raison pour laquelle Infoman et Jean-René Dufort faisaient un pèlerinage quasi annuel dans son bureau à Chicoutimi.

Mais son règne de 20 ans a aussi été marqué par la création d'une nouvelle ville. Élu maire de Chicoutimi en 1997, il a milité pour la fusion avec Jonquière, La Baie et quatre autres municipalités.

Ces sept villes ont été «tapées ensemble», comme aime le dire Luc Boivin, directeur général de la Fromagerie Boivin. Elles avaient des mentalités différentes, des intérêts divergents, rappelle celui qui est également un conseiller municipal proche du maire sortant.

«Dans les premières années, la Consolidated a fermé [elle employait 640 travailleurs], il y avait des indicateurs économiques très négatifs. Statistique Canada prédisait une baisse de la population, une croissance économique anémique, parfois nulle, rappelle Luc Boivin. Jean Tremblay a eu à composer avec ça.»

Et malgré ces vents contraires, «ça s'est quand même bien passé. Jean Tremblay a réussi à maintenir une ville forte». La population s'est maintenue, la croissance a été faible, mais positive.

L'ancien professeur d'économie à l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) Gilles Bergeron est plus sévère dans son analyse du bilan économique de M. Tremblay. «Le taux de chômage à Saguenay s'explique en grande partie parce que la population des 18-65 ans a augmenté beaucoup moins vite qu'ailleurs dans la province», note-t-il. 

«Si on avait eu une croissance de la population comme la moyenne québécoise, on aurait un taux de chômage de 23%.»

En entrevue, à la mention de ces chiffres, Jean Tremblay a une de ces réponses qui ont fait sa renommée. Sur un ton calme, il attaque le messager.

«C'est sûr qu'on peut toujours dire : ‟ah ben, si y'avait ça." Les professeurs d'université sont ben bons là-dedans, y'ont jamais rien fait, mais ils savent tout ce qu'il faut faire pour tout le monde.»

Attaquer pour détruire

Des attaques du genre, il y en a eu plusieurs au cours de son règne. Quand le député de Jonquière, Sylvain Gaudreault, s'est brisé la hanche en tombant à vélo, le maire n'a pas attendu longtemps avant de le varloper.

«Si on avait eu de l'argent pour réparer les rangs comme on lui a demandé, ça lui aurait peut-être donné une chance», avait dit M. Tremblay.

Trois ans plus tard, le député du Parti québécois ne veut pas s'étendre sur «les propos insipides de Jean Tremblay».

Il pense cependant que le départ de M. Tremblay est une bonne nouvelle pour la ville. «Je ne me suis jamais caché quant à ma critique de l'administration Tremblay. Surtout son incapacité de travailler avec des élus qui ne partagent pas ses idées, dit Sylvain Gaudreault. Mais il a aussi mené des combats qui n'étaient pas partagés par l'ensemble de la population, je pense à la prière, entre autres.»

Le député vient de donner son appui à la candidate à la mairie Josée Néron. Mme Néron représentait à elle seule la moitié de l'opposition à l'hôtel de ville. Seules deux conseillères de l'Équipe du renouveau démocratique (ERD), opposées au maire Tremblay, avaient été élues en 2013.

«Quand on est entrées en poste, on a rapidement compris qu'il n'était pas un maire démocrate», affirme Mme Néron, en tête dans le dernier sondage. «C'était un maire qui aimait centraliser le pouvoir et n'aimait pas nécessairement entendre un autre discours que le sien.»

Son plus proche poursuivant est l'ancien député conservateur Jean-Pierre Blackburn. M. Blackburn avait d'abord été pressenti par Jean Tremblay pour lui succéder à la tête du Parti des citoyens de Saguenay (PCS), ce qu'il a fait.

Mais au déclenchement de la campagne municipale, coup de théâtre : M. Blackburn a quitté le PCS, parce que, selon lui, on tentait d'écarter ses proches collaborateurs et de le contrôler.

Jean Tremblay, furieux, l'a qualifié «d'hypocrite et de traître», et a énuméré devant la presse une liste des faux pas de Jean-Pierre Blackburn du temps qu'il était député de Jonquière-Alma.

«J'étais très clean dans ma décision de quitter le PCS, très gentleman. Ç'a pas pris 30 minutes que monsieur le Maire tombait à bras raccourci sur moi et me plantait», raconte M. Blackburn, qui se présente comme candidat indépendant.

«Mais c'est l'homme que j'ai connu dans ma carrière, c'est l'homme qui, dès qu'il y a une contrariété, tire sur la personne, essaie de la détruire, fait tout pour arriver à ça. Je pense que les gens en ont soupé de cette façon de faire.»

«J'ai pas mal fait tout ce que je voulais faire»

Les gens de Saguenay en ont-ils soupé? Jean Tremblay a toujours été élu avec de fortes majorités (72% des voix en 2005, 78% en 2009, 63% en 2013). Mais récemment, son étoile semblait pâlir. Un sondage a révélé en mars 2015 que Sylvain Gaudreault l'emporterait s'il se présentait contre Jean Tremblay.

Ce dernier assure que ce n'est pas la raison de son départ. «Ça fait 20 ans que je suis maire, et 20 ans, c'est assez. Honnêtement, je suis un peu tanné. La routine s'installe. Je pense que j'ai pas mal tout fait ce que je voulais faire.»

À 68 ans, il refuse de parler de retraite. Ce fédéraliste convaincu ne fait pas une croix sur la politique provinciale ou fédérale. Mais pour le moment, il entend se consacrer à sa foi, à «notre belle religion», à laquelle il est convaincu que le Québec va «revenir».

«Je pars l'esprit tranquille. Tout le monde me demande si j'ai des regrets. Y'a des petites affaires que je regrette, des petits détails, dit-il. Mais dire que j'ai un grand regret? Non.»

Des éloges et des critiques

Le bilan des 20 ans de pouvoir de Jean Tremblay est mitigé. Plusieurs déplorent un côté borné et autoritaire. Mais même ses adversaires lui reconnaissent de beaux succès, par exemple la transformation de La Baie en destination de choix pour les bateaux de croisière. Des politiciens de Saguenay livrent leur point de vue.

JOSÉE NÉRON

CANDIDATE À LA MAIRIE DE SAGUENAY

Le slogan de l'Équipe du renouveau démocratique (ERD) n'est pas innocent : « Je suis le changement ». Pour sa chef, il marque le passage à une nouvelle ère après 20 ans du régime Jean Tremblay. « Notre slogan fait un peu référence à Charlie. C'est l'idée de se lever contre des régimes qui essaient de te faire taire », explique cette comptable, qui est première dans les sondages.

Pour Josée Néron, l'une des priorités sera de « ramener le droit de parole » à l'hôtel de ville. Dans l'opposition pendant quatre ans, elle a été à même de constater que le maire sortant digérait mal être contredit. « Son style de leadership s'est vraiment révélé il y a quatre ans quand l'ERD a eu deux élues qui étaient là pour lui poser des questions. Ce style lui a tellement nui qu'un an plus tard, il abolissait la diffusion du conseil à la télé communautaire », dit-elle.

Mme Néron reconnaît que Jean Tremblay était aimé d'une bonne partie de la population et a aussi fait de bons coups. Elle cite notamment l'acquisition des barrages de Pont-Arnaud et Chute-Garneau, en 2006, qui rapportent depuis des revenus à la Ville.

JEAN-PIERRE BLACKBURN

CANDIDAT À LA MAIRIE DE SAGUENAY

Même s'il a eu maille à partir récemment avec Jean Tremblay, l'ancien député conservateur Jean-Pierre Blackburn ne veut pas peindre un portrait sans nuances de l'homme. « Il a été en poste pendant 20 ans. Les gens l'ont aimé et l'ont réélu. C'est un monsieur qui a été aimé des gens, avec une personnalité très forte, un peu caricaturale », dit-il.

N'empêche, selon lui, Jean Tremblay laisse à Saguenay un réseau routier bien mal en point. Le candidat indépendant à la mairie, qui chauffe Josée Néron dans les intentions de vote, fait de la réfection des routes une de ses priorités. Il propose aussi la gratuité dans les transports en commun. « J'organiserais un référendum pour laisser les citoyens décider. »

Contrairement à M. Tremblay et Mme Néron, M. Blackburn vient de Jonquière. « Je ne trouverais pas ça malsain que le prochain maire de Saguenay ne soit pas de Chicoutimi. Pourquoi on n'en aurait pas un de Jonquière, et un jour, un de La Baie ? Je trouve que ce serait bien. »

LUC BOIVIN

DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA FROMAGERIE BOIVIN

« Mon opinion, c'est que les gens vont s'ennuyer de Jean Tremblay d'ici trois, quatre ans. Ils vont dire : "Il n'était pas si pire que ça." »

Luc Boivin est membre du parti du maire sortant, le Parti des citoyens de Saguenay (PCS), et conseiller municipal. Il admet que Jean Tremblay pouvait avoir « un ton carré » et n'aimait pas l'affrontement public. Mais il pense qu'il était beaucoup plus que ça.

« Ce que les gens ont vu de l'extérieur, c'était l'histoire des prières, de traiter les gens de cruches... Mais dans le privé, j'ai été capable de travailler avec Jean. Quand on n'était pas d'accord, on s'asseyait, et des fois, il se ralliait, ou c'était moi. »

Il crédite le politicien pour la fusion réussie de Saguenay. Il pense aussi que Jean Tremblay a su naviguer avec brio dans une situation économique difficile pour cette région.

« Les prochaines années seront très difficiles. À Saguenay, la croissance des dépenses sera de l'ordre de 1,9 %, avec les conventions collectives signées, prévient M. Boivin. Et il y a une croissance économique de 0,9 %. »

SYLVAIN GAUDREAULT

DÉPUTÉ DE JONQUIÈRE

Sylvain Gaudreault a été l'un des plus grands adversaires de Jean Tremblay. L'élu du Parti québécois a souvent été impliqué dans des guerres de mots avec le maire. Il lui reproche notamment « son incapacité de travailler avec des élus qui ne partagent pas ses idées ».

Mais il se dit tout de même «  capable de reconnaître un certain nombre de choses positives de son administration ». Il cite les bateaux de croisière. Saguenay est devenu la troisième destination au Québec, après Montréal et Québec.

Le député de Jonquière estime que la relève de la garde va faire du bien. « Saguenay va avoir l'occasion, avec la nouvelle administration, de se projeter dans l'avenir, dans le XXIesiècle. Je pense notamment à la densification de la ville, développer le transport en commun, la reconversion industrielle... »

LES AUTRES CANDIDATS

Josée Néron et Jean-Pierre Blackburn ne sont pas les seuls à vouloir remplacer Jean Tremblay. Arthur Gobeil, vice-président régional de la firme Raymond Chabot Grant Thornton, se présente comme candidat indépendant. Il a fait une série de promesses axées sur l'économie. Il veut notamment opérer une refonte en profondeur de Promotion Saguenay, l'organisme responsable du développement économique.

Dominic Gagnon est le dauphin de Jean Tremblay, puisqu'il est candidat à la mairie pour le Parti des citoyens de Saguenay. Ce médecin promet notamment un gel de taxes s'il est élu.

Selon un sondage Le Quotidien/KYK Radio X réalisé début octobre, Josée Néron (32,2 %) devançait Jean-Pierre Blackburn (27,6 %). Arthur Gobeil et Dominic Gagnon récoltaient tous deux 13,2 %. Environ la moitié des électeurs disaient pouvoir changer d'idée.