« On est seuls sur la planète à faire des castings comme ça. On est vraiment tout seuls. »

Accoté sur une roulotte dans le stationnement d'un bar de Saguenay, le producteur André de la Seine répond aux questions de La Presse. À un moment, un candidat sort de la roulotte. Il vient de tourner son premier porno. Un assistant vient chuchoter à l'oreille du producteur : « Lui, prends son numéro, y'est ben emmanché. »

Depuis plusieurs semaines, de la Seine est au coeur d'une controverse à Saguenay. La Ville s'opposait à la tenue de ces auditions. La police ne voyait pas l'affaire d'un bon oeil. Un bistrot de Chicoutimi qui devait accueillir l'évènement s'est désisté. Puis l'endroit où il a finalement eu lieu, l'hôtel Plaza de La Baie, a reçu un avis d'infraction.

Mais rien n'y fait : André de la Seine, président d'AD4X, a tenu ses auditions dans un stationnement de Saguenay, comme il l'avait fait plus tôt dans 13 autres villes québécoises.

Son mode d'opération est simple. Il organise une soirée dans un bar. Les participants paient 20 $ pour entrer. À partir de 20 h et jusqu'à 3 h, ils peuvent accéder à une roulotte pour tourner un porno avec des actrices professionnelles. Il en tire ensuite un film.

« On cherche pas un six-pack. On cherche pas un super beau body. Une petite bédaine, c'est pas grave. On cherche un beau sexe en érection », explique de la Seine quant à sa démarche.

« Les gars se branlent devant des films porno à la maison avec leur popcorn, leur petite bière et ils se disent : "Facile, moi aussi je serais capable de faire ça !" Minute ti-gars. C'est pas si simple, lance de la Seine. Ils arrivent dans la roulotte pis ils se rendent compte que tenir une érection devant trois cameramen, c'est pas la même histoire. »

Ces castings, qu'il juge uniques au monde, permettent à des quidams de tourner leur premier porno. C'était le cas jeudi d'un soldat de 19 ans.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Les participants, qui ont payé 20 $ pour entrer dans un bar, pouvaient ensuite accéder à une roulotte pour tourner un porno avec des actrices professionnelles.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

La plupart des participants étaient très jeunes, soit des hommes ou des couples, de 19 ou 20 ans.

Croit-il que de tourner un film porno pourrait nuire à sa carrière ? « Je sais pas, j'y ai pas trop pensé », a-t-il répondu avant de décliner de donner son nom.

La plupart des participants étaient très jeunes, soit des hommes ou des couples, de 19 ou 20 ans - quoiqu'un sexagénaire soit venu d'Estrie pour participer, ce qu'il a fait, brièvement.

Arrive-t-il que des participants regrettent ? « Oui, mais c'est rare, assure de la Seine. Dans ce temps-là, s'ils veulent qu'on retire la scène, je leur demande de l'acheter, parce que moi j'ai dû payer les actrices et la production. »

De la Seine s'engage aussi à couper au montage « ceux qui n'ont pas eu d'érection ».

En tout, une quarantaine de personnes sont entrées dans la roulotte jeudi soir.

UN AVOCAT DÉFIE LA VILLE

Devant l'hôtel Plaza et son bar, le Paradox, plusieurs chrétiens évangélistes s'étaient réunis pour « parler d'amour » aux 250 hommes et femmes qui entraient. « On n'est pas ici pour parler contre la pornographie. On veut simplement leur parler de l'amour véritable, contrairement à l'amour qu'on peut trouver sous des formes vaines », expliquait Jean-Claude Gaudreault, de l'Église évangélique de Chicoutimi.

Le passage d'AD4X a fait des vagues pendant des semaines dans la région. L'entreprise avait aussi beaucoup fait parler d'elle en 2014, quand elle avait organisé un « Boule-O-Thon » à Gatineau. Une actrice avait eu des relations avec 25 hommes en une soirée dans le but de se payer des implants mammaires.

Cette fois-ci, le maire sortant de Saguenay, un catholique pratiquant, n'a pas fait de commentaires. Jean Tremblay a aussi refusé une demande d'entrevue de La Presse. Mais dans les dernières semaines, la Ville et la police ont tenté de prévenir la tenue de la soirée.

Un avocat de la région, qui tient une chronique à l'antenne locale de Radio X, a volé à la rescousse de l'hôtel et d'André de la Seine. Me Charles Cantin s'est même dit prêt à les représenter pro bono si la police intervenait.

Jeudi, dans la nuit, plusieurs véhicules de patrouille sont passés à côté de la roulotte. Il n'y a eu aucune intervention policière.

« À Gatineau, ils avaient tenté de faire la même chose qu'ici, avec le même résultat, indique André de la Seine. La Charte des droits et libertés nous protège quand on est sur un terrain privé. La Ville ne peut pas faire grand-chose. »

Anastasia Luna, 22 ans, est l'une des deux actrices qui ont passé sept heures dans la roulotte. C'était la troisième audition du genre à laquelle elle participait.

« C'est quelque chose de très naturel. On est tous des adultes consentants. On est tous sur terre pour procréer. C'est très naturel de copuler, s'est défendue l'actrice. Si la pornographie n'était pas là, il y aurait beaucoup plus de couples malheureux. Ça devrait se faire bien plus souvent. »

André de la Seine ne sait pas encore quelle sera sa prochaine destination. Chose certaine, ces « auditions uniques au monde » vont continuer d'avoir lieu au Québec, que les municipalités le veuillent ou non.

40

Environ 40 hommes et femmes ont tourné jeudi soir leur premier film pornographique, dans un véhicule récréatif installé dans un stationnement de Saguenay.

20 $

C'était le prix payé par les participants pour entrer dans le bar. Ceux qui le désiraient pouvaient ensuite accéder à la roulotte.

250

Il y avait 250 personnes dans le bar Paradox venues assister aux auditions de la boîte pornographique AD4X. Des habitués de l'endroit ont expliqué n'avoir jamais vu le bar de l'arrondissement de La Baie aussi rempli.