La Presse dénonce avec vigueur une récente décision du Conseil de presse du Québec qui blâme un de ses journalistes concernant un reportage publié sur la meurtrière Karla Homolka.

L'éditeur adjoint du quotidien La Presse Éric Trottier se demande quelle est la pertinence de demeurer au sein d'un conseil de presse «qui tombe dans l'arbitraire et qui ne semble plus comprendre les règles fondamentales de notre métier».

Le Conseil de presse vient de blâmer «sévèrement» le journaliste Philippe Teiscera-Lessard et le quotidien La Presse pour une «atteinte à la vie privée» en plus d'avoir identifié des «personnes mineures» et «un proche d'une personne coupable d'actes criminels» dans un article rapportant la présence de la meurtrière Karla Homolka à Chateauguay sous un nom d'emprunt.

De l'avis du Conseil, «aucun nouvel événement ne venait justifier le dévoilement des informations et que l'article s'apparente ainsi davantage à du voyeurisme qu'à un texte justifié par l'intérêt public», écrit-il dans sa décision rendue le 16 juin dernier.

La Presse a interjeté appel de ce blâme, hier. Le quotidien est en profond désaccord avec cette analyse des faits. Il défend le travail de son journaliste et demeure convaincu de l'intérêt public de la nouvelle.

En apprenant la décision du Conseil, l'éditeur adjoint de La Presse, Éric Trottier, a vivement réagi: «Voilà une autre décision déplorable du Conseil de presse, a-t-il déclaré. Les grands médias le dénoncent depuis longtemps: le Conseil de presse, au lieu de se comporter en véritable tribunal impartial, tombe trop souvent dans le militantisme anti-journalistique. Dans ce cas, le Conseil va jusqu'à modifier la définition même de l'intérêt public pourtant reconnue par les tribunaux. C'est ridicule.»

M. Trottier reproche également au conseil de presse de vouloir juger une série de textes du chroniqueur Patrick Lagacé sans tenir compte de son statut de chroniqueur d'opinions - et ce, même si chacun de ces textes était coiffé du mot «chronique».

«En rendant de telles décisions, le conseil se discrédite, conclut M. Trottier. Non seulement nous allons défendre vigoureusement nos journalistes et nos décisions journalistiques, mais nous en sommes au point où nous devons maintenant nous demander quelle est la pertinence pour nous de demeurer au sein d'un conseil de presse qui tombe dans l'arbitraire et qui ne semble plus comprendre les règles fondamentales de notre métier.» 

Le quotidien n'a pas publié le nom des enfants ni celui du mari de Mme Homolka, a fait valoir l'avocat de La Presse, Me Patrick Bourbeau. Le mari de Mme Homolka est identifié dans l'article par la première lettre de son nom de famille (B.).

Par ailleurs, le nom de l'école où la présence de Mme Homolka avait été constatée - sans que les parents des enfants fréquentant cette école ne soient au courant de la véritable identité de Mme Homolka - avait déjà été diffusé par Global. Ce n'est pas La Presse mais bien d'autres médias qui ont révélé le nom de famille du conjoint d'Homolka et père des enfants.

Dans une plainte déposée en mai 2016, un citoyen reprochait au journaliste d'avoir fourni suffisamment d'informations pour permettre l'identification des enfants mineurs de Karla Homolka.

Le plaignant estimait aussi que Mme Homolka, en dépit des gestes qu'elle a posés il y a plus de 20 ans, «a cependant droit à un certain anonymat dans la mesure où elle a purgé sa peine envers la société et qu'elle ne contrevient pas aux lois du pays». Le Conseil lui a donné raison.

Or, La Presse maintient qu'il y a un intérêt public certain à dévoiler aux parents des enfants fréquentant cette école qui était la femme susceptible d'entrer en contact avec leurs enfants en se rendant à l'école. «Ces parents avaient le droit d'être informés, d'autant que Mme Homolka avait eu pour victimes des personnes mineures», a plaidé l'avocat de La Presse, Me Bourbeau, auprès des représentants du sous-comité des plaintes chargés d'entendre la plainte du citoyen.

Le Conseil de presse n'avait pas réagi aux critiques émises par l'éditeur adjoint de La Presse au moment d'écrire ces lignes en fin de journée jeudi. 

Démission du Conseil de presse

Le journaliste Philippe Teiscera-Lessard - qui occupait un poste d'administrateur au sein du Conseil de presse jusqu'à aujourd'hui - vient par ailleurs de remettre sa démission.

«Depuis mon élection au Conseil de presse, j'ai siégé sur des comités d'études de plaintes aux côtés de personnes qui accomplissaient leur travail consciencieusement et avec impartialité, appliquant avec compétence le Code de déontologie du Conseil de presse, écrit M. Teiscera-Lessard dans sa lettre de démission. J'ai aussi siégé aux côtés de gens qui avaient une conception étriquée de la liberté de presse, incompatible avec la mienne, avec celle d'une démocratie libérale et - à mon avis - avec les objectifs constitutifs du Conseil de presse.»

«Des individus qui jugeaient sur la base de leur propre opinion, de leur propre référence sur une question d'éthique journalistique plutôt que sur la stricte base du Code de déontologie, poursuit le journaliste de La Presse. (...) J'ai l'impression, aujourd'hui, d'avoir fait l'objet d'un jugement moral plutôt que d'un jugement déontologique.»

Controverses au Conseil de presse

Rappelons que le secrétaire général du Conseil de presse, Guy Amyot, a quitté ses fonctions en avril dernier pour devenir directeur adjoint du cabinet du chef de l'opposition péquiste, Jean-François Lisée. Il a occupé ce poste durant huit ans.

Plusieurs controverses ont marqué son passage à ce tribunal d'honneur des médias. En février 2015, le Conseil de presse avait blâmé la Société Radio-Canada (SRC) et son journaliste Alain Gravel pour un reportage diffusé deux semaines avant les élections d'avril 2014, reportage qui faisait état d'un possible financement illégal du PQ mettant en cause le mari de Pauline Marois, Claude Blanchet. 

La société d'État avait aussitôt interjeté appel de ce blâme, invoquant entre autres le fait que M. Amyot se trouvait «en situation d'apparence de conflit d'intérêts», parce que sa soeur était, au moment de la plainte, directrice de cabinet du chef péquiste par intérim, Stéphane Bédard. 

Un an plus tard, en février 2016, la commission d'appel du Conseil de presse donnait raison à la SRC, indiquant que la situation de M. Amyot «pouvait avoir l'apparence d'un conflit d'intérêts», en raison des fonctions occupées par sa soeur. La plainte contre Radio-Canada et son journaliste avait alors été renvoyée devant le comité des plaintes pour y être rejugée.

Dans une entrevue à La Presse canadienne accordée le printemps dernier, Guy Amyot a reconnu que son passage au Parti québécois pouvait prêter flanc à la critique, mais il a tenu à préciser que «d'aucune façon (il n'a) été impliqué dans la décision dans le dossier d'Alain Gravel et ce n'est pas (lui) qui a fait l'analyse de ce dossier». 

«Ça fait des années que ma soeur est en politique. Elle l'était quand j'étais directeur de l'information à Radio-Canada et je n'ai jamais eu de problème avec ça, même quand j'étais responsable des journalistes politiques», a-t-il expliqué. 

«Au Conseil, je me suis retiré de tous les dossiers qui étaient politiques et le CPQ gérait très bien cette situation.» 

Dans un communiqué émis par le PQ pour annoncer qu'il se joignait au cabinet de Jean-François Lisée, Guy Amyot se disait très heureux de «renouer avec le monde politique».

L'actuelle présidente du Conseil de presse, Paule Beaugrand-Champagne, avait alors salué la contribution de M. Amyot. «M. Amyot aura laissé une marque indélébile dans l'histoire du Conseil de presse. On lui doit notamment d'avoir piloté la réécriture du Guide de déontologie journalistique et une analyse approfondie de la jurisprudence, d'avoir solidement redressé les finances du Conseil et d'avoir mis en oeuvre une réforme en profondeur de la procédure de traitement des plaintes.» 

- Avec La Presse canadienne