La Ville de Longueuil a porté plainte à HEC Montréal contre un de ses plus éminents professeurs jugeant qu'il a manqué d'éthique dans une analyse sur la gouvernance et la fiscalité des agglomérations municipales dont celle de Longueuil.

La Ville reproche à Robert Gagné d'avoir utilisé sa crédibilité universitaire pour défendre une position qui remet en question le bien-fondé de l'agglomération, position qu'il avait défendue, dix ans plus tôt, dans le cadre d'un groupe de travail partisan pour le compte de Saint-Bruno, Saint-Lambert et Brossard. Les maires de ces villes dissidentes cherchaient ainsi à renforcer leur bataille politique contre l'agglomération de Longueuil. Ils font toujours campagne sous le slogan « On paie trop pour Longueuil » et s'appuient sur le travail du professeur Gagné.

Ce dernier dirige le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal (CPP), qui a publié, en octobre dernier, un rapport intitulé Les défusions municipales, 10 ans plus tard. État des faits.

Joint par La Presse, Robert Gagné rétorque que cette enquête repose sur une analyse rigoureuse des résultats.

Lors de la publication du rapport, M. Gagné affirmait à La Presse que le gouvernement « pourrait démanteler » l'agglomération de Longueuil, une « structure assez dysfonctionnelle ». Le rapport recommandait également de cesser de payer les services municipaux selon la richesse foncière et de miser sur « une facturation à l'utilisation ».

On retrouve les mêmes critiques et les mêmes recommandations - structure non fonctionnelle et principe de l'utilisateur-payeur - dans le rapport Belzil produit en 2007 par le groupe de travail auquel a participé Robert Gagné. Or, le professeur n'a jamais mentionné qu'il avait été choisi par l'administration municipale de Saint-Lambert pour la représenter dans ce groupe de travail lors de la publication de ses travaux universitaires.

De plus, à la même époque, Robert Gagné siégeait au comité des finances de Saint-Lambert comme résidant. Sur le site internet de Saint-Lambert, on peut lire que le comité des finances discute notamment des « enjeux financiers de l'agglomération de Longueuil du point de vue de Saint-Lambert ».

DONNÉES FINANCIÈRES

De son côté, Robert Gagné reconnaît ne pas avoir dévoilé sa participation au rapport Belzil, mais estime que cela n'entache en rien son travail au CPP de HEC Montréal puisque le rapport Belzil n'a pas la teneur politique qu'on lui prête. « Je peux avoir le point de vue personnel que je veux sur la pertinence des agglomérations et leur gouvernance. Il n'en demeure pas moins que tout ce qu'on dit dans le rapport est basé sur les résultats de l'analyse des données financières des trois agglomérations. [...] Je n'ai pas choisi les résultats », a indiqué hier à La Presse M. Gagné, qui a tenu à souligner que « la marque de commerce du Centre, c'est la rigueur de l'analyse ».

Quant à la similarité des conclusions des deux rapports, M. Gagné a lancé en riant : « Je suis cohérent dans le temps. »

« DOUBLE RÔLE »

À la Ville de Longueuil, on rappelle que le rapport du CPP est la pierre angulaire de l'argumentaire construit par Saint-Bruno, Saint-Lambert et Brossard pour dénoncer l'agglomération. 

« On se sert de la crédibilité de HEC Montréal pour présenter ça comme une analyse indépendante alors que pour nous, c'est biaisé », a affirmé Louis-Pascal Cyr de la direction des communications de Longueuil.

Avant de porter plainte, la Ville a fait appel à l'éthicien Pierre Deschamps. Dans son rapport qui appuie la plainte, M. Deschamps indique que Robert Gagné aurait dérogé au Code d'éthique des enseignants de HEC Montréal, qui commande de « s'abstenir de toute situation réelle, potentielle ou apparente de conflit d'intérêts » et précise qu'un professeur ne doit pas « s'impliquer dans une situation où il est appelé à jouer un double rôle ».

SITUATION « INHABITUELLE »

La plainte de Longueuil a été déposée à la fin d'avril, mais elle s'est butée à une difficulté inhabituelle. Trois des quatre membres du Comité d'éthique des enseignants de HEC Montréal se sont retirés de l'étude de la plainte parce qu'ils estimaient être en conflit d'intérêts réel ou apparent.

La présidente du Comité, la professeure retraitée Francine Séguin, a donc prévenu Longueuil que le Comité ne pouvait procéder ni à l'étude de la recevabilité de la plainte ni à son analyse. Jointe à sa résidence, Mme Séguin a affirmé que la situation est « inhabituelle et totalement nouvelle puisque les gens du Comité ne se sentaient pas aptes à aborder le dossier ».

Il semble que les multiples fonctions de pouvoir qu'occupe Robert Gagné ont influencé la décision des membres du Comité, comme l'a expliqué l'un d'eux à La Presse. En plus de diriger le CPP, M. Gagné siège au comité de direction de l'école. Il est directeur de la recherche et représente HEC Montréal au sein du comité de direction de l'Institut de valorisation des données auquel participent plusieurs professeurs.

Mme Séguin a prévenu le secrétaire général Federico Pasin du cul-de-sac dans lequel le Comité se retrouvait. En réaction aux appels de La Presse, HEC Montréal a décidé d'étudier la plainte. La direction des communications a indiqué que M. Pasin mettrait en place un comité ad hoc pour analyser le dossier.