Quelques flocons tardifs volent sur Fort McMurray, où l'éclat des derniers amas de neige contraste avec le noir ébène des arbres calcinés il y a un an par l'incendie le plus destructeur de l'histoire du Canada.

«Tant que vous n'avez pas tout perdu, vous ne réalisez pas». Steven Menard, 53 ans, tient les restes noircis des premiers patins à glace de son petit-fils, un des rares souvenirs sortis des décombres de sa maison.

Le 1er mai 2016, un feu de broussailles aux abords de la ville pétrolière de l'Ouest canadien s'est transformé en un gigantesque brasier qui a dévoré pendant deux mois près de 600 000 hectares de forêt et jeté sur les routes près de 100 000 personnes.

Steven Menard est arrivé adolescent à Fort McMurray. Sur les hauteurs de la ville, la partie du quartier d'Abasand où se trouvait sa maison n'est plus qu'un champ de ruines. Les rares demeures épargnées côtoient les arrivées d'eau dardant de la terre brûlée.

«Je pleure encore chaque jour», avoue-t-il à l'AFP. Malgré son optimisme, il craint que ses souvenirs cauchemardesques ne reviennent le hanter après son emménagement prévu cet été. Mais «Fort McMurray a besoin de gens qui construisent, pas de gens qui se plaignent».

«Nous devons garder une attitude positive», souligne celui qui, avec l'aide de son beau-fils, reconstruit depuis novembre sa maison sur les ruines calcinées de l'ancienne. Dès l'aube, il s'acharne et travaille «jusqu'au soir, peu importe la météo».

Il a perdu près de 20 kilos depuis le début des travaux en novembre 2016. «C'est thérapeutique», confie l'ancien commercial amusé, en comparant son visage aminci par le régime de bâtisseur avec des photos d'avant.

«Pas question de partir», pour Steven Menard. «Je n'allais pas terminer l'histoire comme ça. Nous partirons quand nous le voudrons et pas quand la nature l'aura décidé», dit-il sans idée néanmoins de son propre avenir une fois sa maison achevée.

Avec l'arrivée du printemps, plusieurs de ses voisins viennent observer l'avancement des travaux de leur propre maison. «Nous sommes en train de remettre notre quartier sur pied», se réjouit-il. «La terre dévastée redeviendra verte».

Scies et marteaux

Ailleurs en ville, le bruit omniprésent des machines des dizaines de chantiers se mêle aux sons des scies électriques et des coups de marteau.

En dépit des efforts déployés par les autorités et les habitants de Fort McMurray, une année n'a pas suffi pour gommer les balafres laissées par la catastrophe.

Bilal Abbas, employé d'une entreprise pétrolière de 38 ans, a vu sa maison détruite en fuyant avec sa fille et sa femme enceinte vers le sud. «J'aurais aimé que ma deuxième fille naisse ici comme moi», raconte-t-il avec un sourire trahissant le regret.

Près de 100 000 personnes ont évacué en toute hâte la ville en proie aux flammes, entassant ce qu'ils pouvaient dans leur voiture et laissant des pans de leur vie derrière eux.

Melissa Blake, maire de Fort McMurray, estime qu'un an après, environ 15 000 personnes ne sont toujours pas revenues.

La chute du prix du pétrole, moteur de la ville, et une reconstruction encore longue et coûteuse en font hésiter plus d'un à revenir sans promesse d'un avenir meilleur.

«Beaucoup de gens préfèrent prendre l'argent de l'assurance et vendre leur terrain pour s'installer ailleurs à cause de l'incertitude et de la peur de l'inconnu à Fort McMurray», explique Bilal Abbas.

Autour de lui, quelques ossatures en bois des maisons en construction rompent le chapelet des nombreuses parcelles vides dans le quartier de Waterways, où 8 maisons sur 10 ont été réduites en cendre.

«Les investisseurs n'ont pas confiance en l'avenir ici. Tout est à vendre, mais peu de gens veulent acheter», déplore Bilal.

Malgré des loyers élevés et un avenir professionnel incertain à Fort McMurray, il a décidé avec son épouse de revenir et loue un logement en espérant pouvoir reconstruire leur maison.

«Même si j'avais cherché à m'installer ailleurs, ma femme n'aurait jamais voulu», plaisante-t-il en jetant un regard complice avec Lina, 27 ans, qui joue avec leurs deux filles de 6 ans et de 10 mois dans le salon.

«Nous aimons trop cet endroit pour le quitter».