«Quand le couvercle de la censure est levé, que la haine ne cesse de monter, on se dit qu'un de ces jours, ça va coaguler et que ça va faire mal.»

Denise Helly, professeure à l'Institut national de la recherche scientifique et spécialiste entre autres des questions de crime haineux, de discrimination et de pluralisme culturel, n'est pas étonnée par ce qui est arrivé à l'Université Concordia, hier. Les astres sont à son avis parfaitement alignés pour donner lieu à ce genre de manifestation de la haine.

À l'échelle de la société, les Québécois ne sont ni plus ni moins racistes que les autres peuples, à son avis. Seulement, le petit pourcentage de Québécois qui le sont se sent maintenant légitimé de déverser son fiel à tout vent.

Donald Trump a un effet, mais il n'est, selon elle, que le dernier maillon de la chaîne.

Au Québec, «le projet de Charte [de la laïcité] a levé la censure. Les gens qui normalement ne s'autorisent pas à dire certaines choses se sont sentis enfin autorisés à parler, à faire comme leurs élites politiques et à casser du musulman et du croyant».

Mme Helly distribue les blâmes à la ronde : aux radios-poubelles - dont le discours haineux devrait à son avis être mis à mal par le CRTC - et à presque toute l'élite politique, «qui est soit hypocrite, soit inconsciente».

«Huit jours après l'attentat de Québec, le Parti québécois, la Coalition avenir Québec et Québec solidaire s'y sont mis tous les trois pour mettre de l'huile sur le feu et relancer le débat sur la place de la religion dans la société québécoise.»

Elle estime que le moment de le faire était particulièrement mal choisi.

Mme Helly n'est pas plus impressionnée par les premiers ministres Couillard et Trudeau. «Verser trois larmes aux funérailles de six musulmans, ça ne suffit pas. Qu'ils fassent leur job.»

Et leur job, selon Mme Helly, c'est de dire que la haine n'a pas sa place ici, et de le dire à répétition.

Mme Helly croit que dans tout cela, la religion, «ce n'est qu'un prétexte, le musulman étant un symbole de l'étranger». 

Car malgré la croisade pour sauver le crucifix à l'hôpital du Saint-Sacrement à Québec, dans les faits, c'est surtout un sentiment antireligieux - contre toute religion - qui prime dans la province. «Tout le débat sur le crucifix ne porte pas dans le fond sur le crucifix, mais bien sur l'identité nationale.»

La peur de perdre des acquis

«On est dans un monde en colère», note également Mme Helly. 

C'est manifeste aux États-Unis, où l'homme blanc, «qui a toujours l'habitude de mener le jeu, n'en est pas revenu de voir un président noir le gouverner». 

Là-bas, «la classe moyenne, qui vivait bien dans les années 70, a perdu ses jobs et n'a pas espoir que ses enfants pourront les récupérer». 

Si les inégalités sont moins flagrantes ici et si la classe moyenne s'en tire un peu mieux, il reste qu'au Québec aussi, «les gens ont peur de perdre leurs acquis», dit-elle. 

Au profit de qui? Au profit de tous ceux qui ne sont pas «de souche» et qui, aux yeux de certains, «polluent cette notion de nation pure».

PHOTO FOURNIE PAR L'INRS

Denise Helly