La confidentialité des courriels, messages textes ou messages privés sur des réseaux sociaux n'est pas à risque seulement à la frontière américaine, comme semble l'indiquer l'expérience de deux ressortissants français interceptés par les douaniers canadiens, en 2014 et 2015.

Tous deux ont raconté à La Presse avoir subi des inspections fouillées de leurs appareils électroniques à la frontière canadienne, à l'instar de nombreux voyageurs qui ont connu des mésaventures similaires à la frontière des États-Unis depuis l'élection de Donald Trump à la présidence.

Clément Deschamps est débarqué par avion en novembre 2015 à Vancouver en vue d'un séjour de plusieurs mois au Canada.

Les douaniers, soupçonnant qu'il songeait à travailler illégalement durant son séjour, lui ont demandé dans le cadre d'un long interrogatoire de leur remettre son iPod et ont entrepris d'explorer son contenu.

Ils ont notamment regardé, relate M. Deschamps, les messages de son compte Messenger, application liée à Facebook, afin de voir la teneur de ses échanges avec une amie canadienne qu'il venait rejoindre.

Leur recherche, dit-il, leur a permis de découvrir un message dans lequel il évoquait la possibilité de travailler au noir, ce qui les a amenés à restreindre sa durée de séjour autorisé en sol canadien à six semaines.

Bien qu'il reconnaisse avoir manqué de transparence avec les douaniers, M. Deschamps juge que leur exploration de ses messages sur Messenger constituait une «violation» de sa vie privée.

«C'était la première fois que je mettais les pieds sur le continent américain. Je n'avais pas envisagé qu'une telle chose pouvait m'arriver».

M. Deschamps, 27 ans, dit vivre aujourd'hui à Montréal avec un permis de travail en bonne et due forme.

Un autre ressortissant français établi au Québec, qui a demandé l'anonymat par crainte de voir sa demande de résidence permanente compromise, raconte avoir vécu une expérience similaire en septembre 2014 alors qu'il revenait en visite dans la province pour voir des amis.

Les douaniers, soupçonnant là encore qu'il venait dans le but de travailler illégalement, lui ont demandé de leur donner accès au contenu de son ordinateur et de son téléphone en obtenant au passage le mot de passe de son compte Gmail.

«Assez perturbant »

« L'un des douaniers regardait mon téléphone tandis que l'autre regardait l'ordinateur», relate le jeune homme, qui a vu ses SMS et ses courriels passés au crible avant d'obtenir l'autorisation de rentrer au pays. «C'était assez perturbant comme expérience», a-t-il déclaré.

Selon plusieurs spécialistes consultés par La Presse, il n'existe pas de juridiction claire au pays relativement à la capacité des douaniers d'exiger le code d'accès du téléphone d'un voyageur ou encore le mot de passe d'un compte courriel ou d'un compte lié à Facebook.

Dans une directive émise en juin 2015 relativement à l'examen des appareils électroniques, l'Agence des services frontaliers du Canada précise que les douaniers doivent faire preuve de retenue puisque ces examens sont plus «personnels par nature» que les fouilles de bagages.

Le document précise par ailleurs que les douaniers doivent, lorsque c'est possible, couper toute connexion avec l'internet de manière à ne pouvoir accéder qu'au contenu stocké dans la mémoire de l'appareil.

Les douaniers «ne doivent pas lire les courriels sur des appareils électroniques» à moins que l'information ait «déjà été téléchargée et consultée», indique-t-on.

Scott Bardsley, porte-parole du ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a réitéré vendredi que les douaniers devaient, en principe, couper la connexion pour éviter de pouvoir explorer des comptes externes à l'appareil électronique examiné.

Il a ajouté qu'il n'était pas clair, à la lumière des informations disponibles, si cette consigne avait été respectée dans les deux cas relevés.

***

Pendant ce temps aux États-Unis...


Les États-Unis ont commencé en décembre à colliger des données sur l'utilisation des réseaux sociaux des voyageurs par l'entremise d'un formulaire où les voyageurs d'une quarantaine de pays peuvent réclamer une exemption de visa. Le secrétaire à la Sécurité intérieure, John Kelly, a par ailleurs fait valoir que certains visiteurs pourraient se voir contraints de remettre les mots de passe de leurs comptes courriel ou de leurs comptes sur les réseaux sociaux.

Le gouvernement canadien fait valoir que cette mesure, si elle se concrétise, ne s'appliquera qu'aux ressortissants des sept pays énumérés dans un décret controversé sur l'immigration signé par le président américain Donald Trump. Ce décret a été suspendu par les tribunaux et doit être remplacé par une version révisée.