Crowdfund Social, une entreprise américaine qui prétend avoir « orchestré » la fameuse campagne de financement du Ice Bucket Challenge en 2015, est soupçonnée par des dizaines d'utilisateurs de Kickstarter d'être derrière une arnaque très répandue sur les sites de sociofinancement. L'inventeur québécois Bernard Goupil estime être tombé dans son piège.

Ingénieur de carrière, M. Goupil a eu une idée toute simple : un support pour tablette électronique qui se fixe à l'arrière des sièges d'avion. Comme il avait besoin de 10 000 $ pour commercialiser son invention, il a lancé à l'automne une campagne sur le site de sociofinancement Kickstarter.

Presque immédiatement, il a été inondé d'offres d'entreprises de marketing lui promettant d'augmenter la visibilité de sa campagne sur l'internet. L'une d'elles, qui a atterri directement dans sa boîte de courriels personnelle, a davantage attiré son attention. L'auteur affirmait avoir été recommandé par un ami. « Pour 500 $US, on me promettait une équipe professionnelle de communicateurs qui propagerait mon projet sur Twitter, Facebook et ailleurs », raconte M. Goupil. D'autres entreprises, comme Backerclub, lui ont rapporté des milliers de dollars en contributions. Il a donc décidé de tenter sa chance avec Crowdfund Social.

Une demi-douzaine d'autres entrepreneurs avec qui La Presse est entrée en communication ces dernières semaines ont raconté sensiblement la même histoire.

Après avoir payé les 500 $ demandés, ils ont reçu un message avec des recommandations très génériques, mais aucune campagne de marketing ne semblait être mise en oeuvre.

Puis quand ils se sont plaints du service, ils ont vu apparaître parmi les contributeurs de leur campagne des personnes qui leur étaient inconnues et qui promettaient de leur verser des sommes considérables. « J'ai remarqué des promesses de financement de 100 $, 150 $ et même 350 $ de personnes que je ne connaissais pas », explique M. Goupil.

Mais une fois la campagne terminée, les sommes promises n'ont jamais été versées, et les comptes de contributeurs généreux sont disparus. Le mot s'est passé sur Kickstarter, et plusieurs utilisateurs ont compris qu'ils étaient tombés dans le même piège. Plusieurs victimes se sont rendu compte que Crowdfund Social - qui utilise aussi le nom d'entreprises First Wave PR - leur a livré très exactement le même rapport d'activité pour les convaincre de sa légitimité. « Le plus étonnant, c'est qu'ils ont un numéro de téléphone et que quelqu'un répond au bout du fil quand on appelle pour se plaindre. Ils écoutent poliment et promettent d'améliorer la situation, mais ils ne font rien de plus », indique Brian Horowitz, concepteur de vêtements de mode très actif sur Kickstarter.

UNE ARNAQUE FRÉQUENTE

Joint au téléphone, le soi-disant responsable de Crowdfund Social, qui affirme parfois s'appeler Andrew Freeman, a raccroché lorsque nous lui avons posé des questions.

« Ce sont des gens très convaincants. Ils passent par le courriel personnel et semblent connaître notre produit », dit Kenneth Ventroba, designer de cuillères stylisées, qui dit s'être fait arnaquer une somme de 995 $ par Crowdfund Social.

Selon l'avocat Kendall Americo, spécialiste des campagnes de sociofiancement à Washington, ce type d'arnaque est très fréquent sur les Kickstarter, Indiegogo et autres sites de sociofinancement de la Toile. 

« Les utilisateurs se font énormément solliciter. Tout le monde se prétend un spécialiste du marketing. Mais objectivement, quand on embauche une boîte de marketing qui promet des miracles pour 500 $, il faut se questionner. Faites vos devoirs avant d'accepter leur offre. »

Kickstarter n'a pas répondu à nos questions. L'entreprise fait parvenir à chacun de ses utilisateurs une lettre l'invitant à faire preuve de prudence avec les nombreux services de marketing. « Nous ne tolérons aucun spam sur Kickstarter », écrit l'entreprise.

Bernard Goupil, lui, a tout de même réussi son pari. Malgré l'arnaque dont il se dit victime, il a dépassé ses objectifs de financement sur Kickstarter de près de 5000 $. Son produit, appelé Atlas, a déjà été vendu à quelques milliers d'exemplaires. « Je me suis dit qu'il fallait que je dénonce la situation, parce que même en étant d'un naturel prudent avec ce genre de promesse, même en faisant des vérifications, je me suis fait avoir », dit-il.

Photo Martin Chamberland, La Presse

L'Atlas