Malgré 8 jours de témoignage à la commission Charbonneau et 35 rencontres avec des policiers pour collaborer à des enquêtes sur la corruption, la collusion et le financement illégal, Lino Zambito estime n'avoir pas tout dit. L'ex-entrepreneur, qui est à mi-chemin de la peine à laquelle il a été condamné dans la fraude de Boisbriand, présente sa version des faits dans son livre Le témoin.

« Je crève l'abcès », lance Zambito. En voulant exposer « sa propre vérité », celui qui était à la tête de l'entreprise de construction Infrabec et qui a décortiqué le système de collusion à Montréal devant la commission Charbonneau expose des réseaux d'intérêts, s'interroge au sujet de la lenteur des enquêtes policières et écorche certaines personnes liées au monde politique.

Bien qu'il se défende de nourrir quelque sentiment de vengeance que ce soit, il n'en montre pas moins du doigt certains événements méconnus du grand public. « Je lance des points d'interrogation pour des dossiers qui sont entre les mains des autorités. J'ai rencontré 35 fois les policiers ; tout est assermenté », affirme-t-il en entrevue avant d'ajouter : « Avec ce que j'ai vécu, je peux vous dire qu'il y a bien des politiciens au-dessus des lois. » Voici deux de ses « points d'interrogation ».

LA PUISSANCE DE MARC BIBEAU

L'homme d'affaires Marc Bibeau a souvent été dépeint, y compris devant la commission Charbonneau, comme l'architecte de la réussite financière du Parti libéral du Québec sous le règne de son ami Jean Charest. Pour Lino Zambito, Marc Bibeau incarne la puissance de la machine libérale, n'ayant ni « grands principes » ni « états d'âme ».

Pour le démontrer, M. Zambito relate la conversation qu'il dit avoir eue avec Marc Bibeau en 2009 lors d'un événement réunissant les troupes libérales, à Laval. M. Zambito venait de lui donner un coup de main pour la reconduction du bail de la Commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles, qui loge dans un des édifices de M. Bibeau. Quelques semaines plus tard, c'était au tour de M. Zambito de lui parler d'un problème dans la réalisation d'un de ses projets d'infrastructure à Boisbriand, et pour lequel le règlement d'emprunt municipal tardait à être autorisé par le gouvernement du Québec.

M. Zambito raconte que Marc Bibeau aurait aussitôt pris le téléphone pour discuter avec le chef de cabinet de Jean Charest pour s'assurer que le dossier débloque au Conseil des ministres. Lino Zambito dit s'en être étonné et rapporte ce que lui aurait alors expliqué Marc Bibeau : « Quand on a eu besoin de toi, t'étais là. Là, t'as besoin de nous. Faut qu'on soit là pour toi. Faut que l'ascenseur revienne. C'est comme ça que ça marche. » M. Bibeau aurait ajouté : « Quand on forme un Conseil des ministres, on est cinq dans le war room. Je suis un des cinq et les ministres le savent. J'ai du poids. Quand on a besoin qu'un dossier se règle, ils sont mieux de bouger. »

Marc Bibeau a refusé d'accorder une entrevue à La Presse, mais par l'entremise de son avocat, William Brock, il a toutefois tenu à affirmer que les événements décrits par M. Zambito sont des allégations « dénuées de tout fondement » puisqu'ils n'ont jamais eu lieu et que l'histoire du pseudo « retour d'ascenseur » n'est que « pure fiction ».

ATTAQUE CONTRE LA MAIRESSE DE BOISBRIAND

Dans son livre, Lino Zambito critique vertement le maintien de Marlène Cordato à la mairie de Boisbriand. Selon lui, Mme Cordato aurait conclu avec l'ancienne mairesse Sylvie St-Jean - reconnue coupable de corruption depuis - une entente de partage des contrats à attribuer aux firmes de génie-conseil. « Au moins la moitié des accusations portées contre Sylvie St-Jean auraient dû l'être aussi contre Marlène Cordato. Je suis scandalisé par cette situation », écrit M. Zambito.

Il s'appuie sur l'exposé conjoint des faits, un document judiciaire signé par Mme St-Jean ainsi que par la Couronne et entériné par un juge. Il y est écrit que « selon cette entente, la firme Roche avait le contrat d'ingénierie de l'Usine, alors que BPR-Triax (liée au Parti au pouvoir) et Génivar (liée à l'opposition) se sépareraient les autres contrats moitié-moitié ».

Ce document n'implique toutefois pas la reconnaissance des faits par un tiers, ici Mme Cordato. Ainsi, cette dernière nie formellement avoir eu une entente de collusion. Les discussions se sont déroulées en public et ont permis l'adoption de résolutions du conseil municipal, argue-t-elle. Pour Mme Cordato, il s'agit uniquement de vengeance. « M. Zambito est très culotté ! Je l'ai dénoncé auprès des policiers. Il a été accusé et reconnu coupable », a-t-elle rappelé à La Presse.

Lorsque l'exposé conjoint des faits est devenu public, en 2014, Mme Cordato a écrit à la procureure au dossier pour exprimer son désaccord. Dans sa lettre, Mme Cordato affirme que les allégations de Mme St-Jean lui semblent « sans pertinence », ne sont appuyées d'aucune preuve et « portent atteinte inutilement à [sa] réputation ». Malgré tout, Lino Zambito n'en démord pas et demande « pourquoi la ministre de la Justice ne fait rien dans ce dossier-là ? »

IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO, ARCHIVES LA PRESSE

Lino Zambito a témoigné durant huit jours à la commission Charbonneau.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

L'homme d'affaires Marc Bibeau a souvent été dépeint, y compris devant la commission Charbonneau, comme l'architecte de la réussite financière du Parti libéral du Québec sous le règne de son ami Jean Charest.

Extraits du livre Le témoin

À PROPOS DU SYSTÈME DE COLLUSION

« Est-ce que ça valait la peine pour moi de me prêter à cette pratique, compte tenu du prix très élevé - autant humain que financier - que j'ai dû payer à la fin ? Sûrement pas. Est-ce que je suis fier de m'être trouvé ainsi dans l'illégalité pendant autant d'années ? Bien sûr que non. Mais [...] je n'avais pas le choix. Ou j'acceptais de jouer le jeu, ou je ne travaillais pas. »

« Il y a présentement à Montréal plus de 400 chantiers en activité. La demande est forte. Or, quand on décide d'entreprendre autant de travaux en même temps, on est beaucoup plus vulnérable. »

À PROPOS DE LA PERQUISITION CHEZ INFRABEC

Le 1er décembre 2009, l'escouade Marteau de la Sûreté du Québec perquisitionne dans les bureaux d'Infrabec, à Boisbriand. Mais les enquêteurs connaissaient déjà les lieux, raconte Lino Zambito. Quelques semaines auparavant, « des policiers s'étaient introduits en soirée - sans mandat - dans mon bureau après avoir désactivé le système d'alarme. Ce soir-là, la femme de ménage était entrée chez Infrabec plus tard que prévu pour faire son travail et les avait surpris, vers 22 h, en train de fouiller dans les poubelles. Les individus lui avaient montré leur insigne de policier en lui disant que si jamais elle parlait de ce qu'elle avait vu, elle aurait de sérieux problèmes ». Dès le lendemain, elle a prévenu M. Zambito qui a aussitôt fait installer des caméras et des micros. Les caméras ont été repérées et débranchées lors de la perquisition, mais pas les micros.

« Cette perquisition était dans une large mesure un spectacle de relations publiques commandé par le gouvernement pour faire croire que la police faisait bien son travail et qu'une commission d'enquête sur l'industrie de la construction n'était pas nécessaire. »

Lors de la perquisition, qui a duré toute une journée, les policiers souhaitaient se faire livrer un repas. « J'ai alors eu le culot de leur donner le dépliant de mon restaurant, Pizza Etcetera, qui était à Blainville. [...] Il y en avait pour pas loin de 250 $. C'était un peu ma manière de dire : « Tant qu'à me faire chier, vous allez au moins encourager mon commerce. [...] Mes employés étaient tordus de rire, malgré la gravité de la situation. »