La livraison de drogue par drone à la prison de Bordeaux est en croissance depuis le début de l'année. Néanmoins, le phénomène semble largement sous-estimé, puisque des voisins de la prison disent avoir observé des engins volants tous les jours de l'été. Un citoyen a même découvert un colis suspect dans sa cour. Le syndicat des agents correctionnels accuse le gouvernement d'être « complice du trafic du crime organisé » en raison de son immobilisme.

Un colis tombé du ciel

Il y a trois semaines, Pierre a fait une troublante découverte dans sa cour arrière : un colis blanc difforme muni d'un crochet. Un paquet de deux kilos tombé du ciel, à deux pas de l'aire de jeu de sa fille. Aucun doute selon lui : le colis se rendait à l'Établissement de détention de Montréal (prison de Bordeaux), tout près. « Ça aurait pu être dangereux ! Ma famille joue dans ce coin-là. Ça aurait aussi pu tomber sur la maison, briser une vitre. Il y a un danger pour les citoyens si ça tombe entre de mauvaises mains », dénonce Pierre, dont nous avons changé le prénom à sa demande par crainte de représailles. Il a immédiatement remis le paquet aux policiers.

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Nombre de drones observés aux abords de prisons québécoises, dont 19 à la prison de Bordeaux, de janvier à juillet 2016. Le plus grand établissement carcéral provincial se trouve en plein milieu d'un secteur résidentiel de l'arrondissement d'Ahuntsic-Cartierville, dans le nord de Montréal. Or, ce « fléau » est largement « sous-estimé » par les autorités, selon Pierre. « Cet été, on a vu des drones, pas tous les jours, mais presque ! On entend un bourdonnement, et on voit les quatre pattes des drones. On croyait que c'était des gens qui s'amusaient, mais on a réalisé que les drones se rendaient à la prison ! », dit-il. L'autre jour, il a même vu un drone revenant de la prison se poser dans un secteur industriel, près du chemin de fer adjacent.

La sécurité de la population en péril, selon les agents correctionnels

« Le gouvernement et le Ministère semblent dépassés par ce fléau », lance Mathieu Lavoie, président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (SAPSCQ-CSN). Ses membres ont observé depuis le début de l'année une « augmentation majeure des livraisons par drone », en particulier sur l'île de Montréal. La situation est « critique », ajoute-t-il, et met « en péril la sécurité de l'établissement et la sécurité de la population autour de l'établissement ». Mathieu Lavoie réclame que le ministère de la Sécurité publique (MSP) passe de la parole aux actes et déploie des mesures pour enrayer ce fléau « tellement lucratif » pour le crime organisé. Il suggère des grillages dans les cours et d'autres « solutions électroniques ».

Un « plan d'action »

Le MSP est « préoccupé par l'utilisation » des drones et de toutes les technologies pouvant « menacer la sécurité dans ses établissements de détention », indique par courriel la porte-parole Alexandra Paré. Le MSP soutient s'être doté d'un « plan d'action », mais refuse de fournir les détails précis des mesures déployées pour des raisons de sécurité. « La solution réside dans l'interaction de différentes mesures. Parmi celles-ci, notons la sécurisation des cours extérieures. Cette mesure vise d'abord à contrer les évasions par hélicoptère. [...] Les grillages peuvent aussi limiter les possibilités d'intrusion d'objets illicites », affirme Mme Paré. Seules cinq prisons québécoises avaient installé des grillages au-dessus de leurs cours, le printemps dernier.

Plus de surveillance réclamée

Pierre aimerait que les policiers se promènent davantage dans le secteur voisin de la prison pour « mettre la main au collet de ces gens-là ». « Ça me dérange que des personnes malfaisantes se promènent dans le quartier, ce ne sont pas des gens désirables. C'est un problème réel. [....] Les policiers ne sont pas suffisamment rapides pour les attraper. Ils m'ont rappelé une heure après mon appel », déplore Pierre. Un autre résidant du quartier, qui n'a pas donné son nom à La Presse, affirme également avoir observé plusieurs drones au cours de l'été, surtout le soir.

Le SPVM prend les drones au sérieux

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) dit prendre « très au sérieux » l'utilisation illégale de drones. « Oui, il y a une surveillance particulière, mais il faut faire appel au public. Le public ne doit pas avoir peur de nous avertir quand il y a des vols de drone dans ces secteurs. Oui, il y a une sensibilité accrue des patrouilleurs du secteur pour les vols de drone près d'un territoire carcéral - on parle aussi de Rivière-des-Prairies », explique l'agent Manuel Couture, porte-parole du SPVM, qui rappelle toutefois que les drones sont également utilisés à des « fins récréatives ».

Deux hommes arrêtés près de la prison de Bordeaux

Les policiers ont d'ailleurs mis la main au collet de deux hommes, le 30 août dernier, qui auraient tenté de livrer par drone de la drogue à la prison de Bordeaux. Jocelyn Poirier, un Montréalais de 40 ans, et Ian Di Sario, un Repentignois de 38 ans, ont été accusés de possession de drogue en vue d'en faire le trafic. Les policiers ont saisi plus de deux kilos de drogue ou de tabac : 775 g de haschich, 750 g de marijuana et 645 g de tabac. Ils ont aussi mis la main sur cinq comprimés d'ecstasy, 480 $ en argent canadien, six cellulaires et une tablette.

- Avec la collaboration de Daniel Renaud

Photo Robert Skinner, La Presse

La prison de Bordeaux, visible depuis les maisons environnantes