Jugé inadéquat, le processus de traitement des demandeurs d'asile LGBTI au Canada sera amélioré en 2017. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) prévoit publier des lignes directrices d'ici l'été prochain, a appris La Presse.

Dans un document présenté en mai 2016 à des intervenants d'ONG (que La Presse a obtenu), la CISR évoque une hausse du nombre de cas impliquant des personnes LGBTI et un manque d'outils des décideurs dans ces cas particuliers. Une première version des Directives numéro 9 du président sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre sera soumise à une consultation externe en septembre. Ces lignes directrices correspondront à celles publiées en 2012 par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, est-il prévu.

«En l'absence de paramètres, les commissaires ne savent pas quoi faire dans ces cas précis. Ils y vont selon leurs connaissances, leurs croyances. Il existe peu de jurisprudence. Ça peut entraîner une grande incohérence dans les décisions rendues», affirme France Houle, vice-doyenne de la faculté de droit de l'Université de Montréal et directrice pour le Canada du consortium universitaire IMPALA (International Migration Policy and Law Analysis).

«Depuis 10 ans, des progrès majeurs ont été réalisés dans la qualité des décisions. Toutefois, il y a encore une immense variabilité dans la façon dont les commissaires posent les questions et dans la façon de soupeser la preuve. Ces décisions sont trop importantes pour dépendre du hasard», indique par courriel Sharalyn Jordan, professeure à la faculté d'éducation de l'Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique. Elle s'implique auprès des réfugiés LGBTI au Canada.

«J'ai vu des demandes refusées en raison de biais culturels ou d'un manque de connaissances sur les façons dont se manifeste la persécution homophobe et transphobe», explique Mme Jordan.

Dans la revue Migrations forcées (2013), elle écrivait à cet égard: «Le contexte mondial en matière de protection et de persécution de la diversité sexuelle et de genre est complexe, mouvant et souvent paradoxal. C'est au Brésil qu'a lieu la plus grande Marche des fiertés dans le monde, mais c'est aussi au Brésil qu'est enregistré le taux le plus élevé de meurtres homophobes ou transphobes.» En Afrique du Sud, où l'on reconnaît le mariage homosexuel, des organisations de protection des droits de l'homme signalent «dix cas de viols de correction par semaine ciblant les lesbiennes», précise l'auteure.

Les commissaires appuient leurs décisions non seulement sur le contexte de persécution du pays d'origine, mais aussi sur des preuves intimes de l'orientation sexuelle du demandeur. «Beaucoup ont vécu dans la clandestinité, dans la peur, dans des pays où ils risquaient la peine de mort. Ils ont survécu en étant discrets, en effaçant toute trace d'homosexualité, indique Sofiane Chouiter, militant d'AGIR, groupe qui défend les droits des réfugiés LGBTI. Or, les commissaires demandent des photos - bien entendu inexistantes ! - et des lettres de partenaires. Ces preuves peuvent mettre en danger les personnes restées sur place. Ne devrait-on pas procéder différemment?»

Peur de témoigner



Hautement significatif, le témoignage oral peut aussi être mal interprété. L'anxiété et les symptômes traumatiques peuvent interférer avec les habiletés à témoigner, note Sharalyn Jordan. Elle souhaite que les décideurs aient des repères afin de détecter ces effets. «J'ai vu des refus pour des incohérences mineures», déplore-t-elle.

«Les femmes que j'accompagne ont une peur bleue de dire qu'elles sont lesbiennes à un commissaire qui détient leur sort entre les mains, confirme Lani Trilène, responsable du volet immigration au Centre de solidarité lesbienne à Montréal. Elles ont été persécutées pour cette même raison. Elles ne savent pas si elles doivent faire confiance, certaines ont un blocage. Il y a des refus. Qu'advient-il de ces femmes?»

À cela s'ajoutent les préjugés communs et les stéréotypes auxquels font face les demandeurs d'asile LGBTI au Canada. «Les décideurs accordent à tort une importance marquée au récit de coming out, typiquement occidental, et aux liens sociaux du demandeur avec la communauté locale LGBT, qu'il fréquente peu», souligne Mme Jordan.

Corriger le tir

La CISR souhaite corriger ces lacunes, peut-on lire dans le document présenté en mai. Parmi les principes directeurs, la commission exhorte ses membres à utiliser «un langage approprié et respectueux» lors des audiences, à comprendre les difficultés qu'éprouvent les demandeurs à « établir leur orientation sexuelle et leur identité de genre devant la CISR» et à éviter les «stéréotypes culturels pendant l'examen des faits relatifs aux personnes d'orientation sexuelle et d'identité de genre minoritaires».

Ces lignes directrices ne pourront vraiment faire pencher la balance que s'il y a une formation et un suivi sur leur implantation, note Mme Jordan. «Il s'agit d'une étape importante et essentielle, mais ça ne peut corriger les défauts dans la loi mise en oeuvre en 2012, souligne-t-elle. Les délais de préparation sont excessivement courts, beaucoup n'ont pas accès à un soutien psychologique ou communautaire, les droits d'appel sont limités et le recours à la détention est abusif.»

Réponse de la CISR

«La CISR va au-devant des besoins de ses décideurs, veillant à ce qu'ils disposent des outils et des ressources nécessaires pour assumer leurs responsabilités importantes. [...] Les Directives ont pour objet d'aider les commissaires à savoir comment agir lorsqu'ils n'ont aucune jurisprudence sur laquelle se fonder ou lorsque la jurisprudence est incomplète, par exemple en ce qui concerne les termes à utiliser, les techniques d'interrogation et l'évaluation de la crédibilité. [...]»

«Les commissaires bénéficient régulièrement de séances de formation continue visant à tenir à jour leurs connaissances sur la jurisprudence, les conditions dans les pays ainsi que d'autres aspects de leur rôle en tant que commissaires. Des séances au sujet des nouvelles Directives s'ajouteront à cette formation continue une fois que les Directives seront prêtes pour la publication.»

«Il est important de noter que l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) est l'autorité habilitée au chapitre de la détention et que les Directives ne s'appliqueront qu'au personnel de la CISR.»

Source : extraits d'une réponse courriel de la CISR reçue en fin de journée hier