Une anthropologue québécoise de l'Université Concordia, en visite dans son pays natal, l'Iran, a été arrêtée en mars, deux jours avant la date prévue de son retour à Montréal.

Libérée sous caution, soumise à des interrogatoires répétés qui pouvaient durer jusqu'à neuf heures sans interruption, Homa Hoodfar a été arrêtée de nouveau il y a trois jours. Selon ses proches, elle est détenue à la prison d'Evin, à Téhéran, où sont incarcérés de nombreux prisonniers politiques iraniens.

Depuis sa dernière arrestation, Homa Hoodfar, qui détient la triple citoyenneté iranienne, canadienne et irlandaise, n'a pu entrer en contact ni avec sa famille ni avec son avocat, déplore sa nièce Amanda Ghahremani, établie à Montréal.

Les proches de Homa Hoodfar sont en état de choc. Ils s'inquiètent d'autant plus que celle-ci a une santé fragile : elle souffre de myasthénie grave, une maladie neurologique dégénérative. Or elle n'a pas eu accès à ses médicaments depuis trois jours.

Que reproche-t-on donc à Homa Hoodfar ? « Les questions des enquêteurs portaient sur son travail, nous avons l'impression qu'elle est détenue pour des raisons politiques », dit Amanda Ghahremani, qui a été en contact avec sa tante pendant les trois mois d'interrogatoires.

CONFUSION ?

Selon elle, c'est l'unité de contre-espionnage des Gardiens de la révolution islamique iranienne, une organisation ne relevant pas du gouvernement iranien, qui a interrogé la chercheuse de Concordia, après avoir saisi son ordinateur, ses livres et son passeport.

Homa Hoodfar est une spécialiste de la condition des femmes au Moyen-Orient. Cette anthropologue féministe est « une voix intelligente et nuancée, une référence incontournable sur la question du voile islamique », dit la juriste Pascale Fournier, de l'Université d'Ottawa.

Âgée de 65 ans, Homa Hoodfar enseigne à l'Université Concordia depuis 1991.

Pour Amanda Ghahremani, les Gardiens de la révolution n'ont rien compris au travail de la chercheuse. « Ils ont confondu son travail d'anthropologue avec du militantisme politique. »

Elle ajoute que sa tante était très nuancée dans son travail et qu'elle n'hésitait pas à mettre en valeur, le cas échéant, les politiques iraniennes favorables aux femmes.

PAS D'AMBASSADE

Depuis que le gouvernement de Stephen Harper a coupé ses relations avec l'Iran, le Canada n'a pas de représentation diplomatique à Téhéran.

Au lendemain des dernières élections fédérales, le ministre libéral des Affaires étrangères, Stéphane Dion, a promis de restaurer le dialogue avec Téhéran. Mais pour l'instant, il n'y a aucun plan pour la réouverture d'une ambassade du Canada dans la capitale iranienne. Et le ministre Dion a opté pour une approche « progressive », selon sa porte-parole Chantal Gagnon.

La nièce de Homa Hoodfar déplore ce vide diplomatique qui « nuit aux citoyens ayant une double citoyenneté ».

Le gouvernement canadien confirme l'arrestation de Mme Hoodfar. Le ministre Dion a rencontré personnellement sa famille, tandis que les représentants consulaires restent en contact avec ses proches, pour suivre ce dossier « prioritaire » aux yeux d'Ottawa, précise la porte-parole Chantal Gagnon.

En attendant, les proches de Mme Hoodfar se rongent les sangs en essayant de décoder la signification de cette arrestation, qui leur paraît « insensée ».

PRISONNIÈRE POLITIQUE ?

Élu il y a trois ans, le président iranien Hassan Rohani est perçu comme un politicien modéré, et s'était engagé à faire libérer les prisonniers politiques pendant sa campagne électorale. Les dernières élections législatives ont aussi infligé un revers aux ultraconservateurs.

Pourtant, les grandes figures de l'opposition comme Mir-Hossein Moussavi ou Mehdi Karroubi restent assignées à résidence depuis cinq ans, sans accusations ni procès, signale un récent rapport de Human Rights Watch (HRW).

Au cours des trois derniers mois, pendant qu'elle subissait un interrogatoire après l'autre, Homa Hoodfar se sentait confuse devant les procédures dont elle était victime, relate sa nièce Amanda Ghahremani.

« Elle se trouvait en Iran pour visiter la famille et faire quelques recherches à la bibliothèque du Parlement, elle ne comprenait pas pourquoi les Gardiens de la révolution s'en prenaient à elle », précise cette proche de l'anthropologue.

La prison d'Evin où celle-ci est incarcérée depuis trois jours est réputée pour le traitement inhumain infligé à ses prisonniers politiques, qui sont gardés en isolement et n'échappent pas à la torture. C'est dans cette prison qu'a été détenue et torturée la photographe canado-iranienne Zahra Kazemi, morte en 2003.