Visé par des allégations de harcèlement psychologique, le président de l'Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ), Jean-François Proulx, n'a pas réussi hier à imposer au conseil d'administration sa volonté de démettre la direction générale qui a déclenché une enquête sur son comportement, a appris La Presse.

Après huit heures de débats, les administrateurs ont plutôt choisi de s'engager dans un processus de médiation afin d'éclaircir le rôle et les responsabilités de la direction générale et des administrateurs. Deux personnes proches du dossier ayant requis l'anonymat ont indiqué que le « statu quo » prévalait, compte tenu de la présente campagne électorale.

À compter d'aujourd'hui, 16 h, et jusqu'au 27 mai, les 62 000 membres de l'Ordre des ingénieurs sont appelés à voter électroniquement pour l'un des six candidats à la présidence, dont Jean-François Proulx. Parmi les allégations concernant M. Proulx, un employé souligne qu'il entend faire rouler des têtes parmi l'équipe de direction s'il est réélu.

DISCUSSIONS EN APARTÉ

M. Proulx s'est présenté hier matin à la réunion du conseil d'administration accompagné de son avocat Julius Grey, comme a pu le constater de visu La Presse. Les travaux du conseil d'administration ont débuté en retard, car M. Proulx discutait dans une salle, la porte voisine, notamment avec la première vice-présidente de l'Ordre, Kathy Baig. Tout comme M. Proulx, Mme Baig est candidate à la présidence de l'Ordre.

Malgré les plaintes de harcèlement déposées contre M. Proulx et un rapport d'une firme privée attestant un climat de travail marqué par des menaces alléguées de la part de M. Proulx, c'est ce dernier qui a présidé la réunion du conseil d'administration.

Selon les informations recueillies par La Presse, M. Proulx a proposé de démettre de leurs fonctions le directeur général et la secrétaire générale de l'OIQ, M. Chantal Michaud et Me Louise Jolicoeur. M. Proulx leur reproche d'avoir mandaté une firme afin d'évaluer le climat de travail, d'avoir commandé une enquête à la suite du rapport l'incriminant, et de lui avoir interdit l'accès aux bureaux de l'Ordre depuis la semaine dernière, tout cela sans se référer au comité exécutif. Or, le comité exécutif est présidé par M. Proulx, qui est la cible des plaintes de harcèlement.

FAITS TROUBLANTS

Dimanche dernier, le directeur général de l'OIQ a transmis aux 24 membres du conseil d'administration le Rapport d'enquête administrative sur le climat de travail qu'il a reçu le 26 avril. Il a également joint une présentation détaillant le contexte de l'étude et les actions qui ont été prises, dont le fait que M. Proulx n'a plus accès aux bureaux de l'Ordre et doit limiter ses communications avec les employés jusqu'à la conclusion de l'enquête le concernant. La Presse a obtenu ce dernier document de 15 pages en soirée hier ; il est signé par le directeur général.

Ce dernier cite de larges extraits du rapport qui a été produit par la firme Relais Expert-Conseil. « Plusieurs informations et faits troublants et préoccupants nous ont été révélés par la très grande majorité des personnes rencontrées. »

Des employés rapportent que le président Proulx se montre « direct, sec et irrespectueux », courriels à l'appui. Le langage de M. Proulx est truffé d'expressions qui heurtent les employés. Par exemple : « When I shoot, I shoot to kill », « Je vais avoir sa tête », « He/She is dead », « Fuck you » en faisant un doigt d'honneur.

Jean-François Proulx qualifie des employés de « couleuvre », de « traître », d'« incompétent », les membres du conseil d'administration de « bébés » et le C.A. est une « garderie », peut-on lire dans le document. Une personne rapporte que « le président lui aurait dit : "les directeurs qui ne font pas ce que je demande, quand je vais être réélu, il va avoir des têtes qui vont rouler, quand le train va passer, il va passer dessus" ».

M. Proulx ferait des crises et taperait du pied « comme un enfant » lorsqu'il est contrarié. Une personne estime que le président devient parfois agressif et « on va le ressentir dans ses yeux, dans son ton ».

Des employés ont témoigné que l'attitude du président leur causait de l'anxiété, affectait leur vie personnelle, troublait leur sommeil.

« Une personne rapporte avoir peur, avoir la frousse, car le président sait comment faire mal », écrit l'auteur du rapport.

PROBLÈME DE RÉGIE INTERNE

La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a refusé hier de commenter la crise de l'OIQ, l'associant à un problème de « régie interne ». À cet égard, elle partage la vision de l'Office des professions qui chapeaute l'ensemble des ordres professionnels, dont l'OIQ.

L'Office avait un observateur lors du conseil d'administration d'hier, qui a suivi les débats au téléphone. « Il va nous faire rapport et l'Office va faire rapidement le point sur la situation », a indiqué le responsable des communications Stéphane Boivin.

Ce dernier n'a pas voulu aborder la question de la mise sous tutelle de l'OIQ qu'un rapport remis à l'Office, l'année dernière, recommandait. Selon M. Boivin, la mission première de l'Ordre des ingénieurs, qui est de protéger le public, n'est pas touchée par la crise actuelle.