Le projet de loi fédéral sur l'aide médicale à mourir pourrait contrevenir de plusieurs manières à la Charte canadienne des droits et libertés, convient une analyse interne du gouvernement rendue publique hier par la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould.

Cette analyse déposée à la Chambre des communes au premier jour des débats sur le projet de loi C-14 explique aussi les justifications qui ont poussé le gouvernement à inclure ces mesures potentiellement litigieuses. Le gouvernement évite par contre de se prononcer sur la manière dont les tribunaux pourraient trancher ces questions.

Par exemple, le fait de restreindre l'admissibilité de l'aide médicale à mourir aux personnes dont la mort est devenue raisonnablement prévisible « pourrait porter atteinte aux droits à la liberté et à la sécurité de la personne », de même qu'aux droits à l'égalité, selon le document.

« Une personne qui souffre intolérablement d'une maladie selon laquelle sa mort n'est pas raisonnablement prévisible serait traitée différemment, en termes d'accès, par rapport à quelqu'un souffrant intolérablement d'une autre maladie faisant en sorte que sa mort est raisonnablement prévisible », reconnaît entre autres le gouvernement.

Or, cette approche se justifie par le besoin de protéger les personnes vulnérables et d'inscrire l'aide médicale à mourir dans le cadre d'un « processus de mort », jugent les fonctionnaires. « Cette approche respecte l'autonomie pendant le processus de mort, tout en accordant la priorité au respect de la vie humaine. »

L'arrêt Carter

Le critère de mort raisonnablement prévisible a beaucoup fait discuter depuis qu'il a été présenté la semaine dernière, puisqu'il n'était pas expressément prévu dans l'arrêt Carter de la Cour suprême du Canada et que plusieurs l'ont trouvé trop flou.

Certains des demandeurs dans cette affaire, dont la famille de Kay Carter, ont de plus fait valoir que les conditions posées par Ottawa sont trop restrictives et qu'elles auraient même empêché Mme Carter d'être admissible à une telle aide.

Lors d'un discours en Chambre hier, la ministre de la Justice a contredit cette affirmation. « Une question que plusieurs ont à l'égard de ce projet de loi est s'il respecte la décision Carter. Il y aura toujours une diversité d'opinions sur ce qui est requis pour répondre à un jugement en particulier, mais il revient au Parlement non seulement de respecter la décision de la Cour, mais aussi d'écouter les diverses opinions et pour déterminer ce que requiert l'intérêt public », a-t-elle dit.

« Ce n'est jamais aussi simple que de copier et coller les mots d'un jugement dans une loi. »

La ministre Wilson-Raybould a ajouté que les critères contenus dans le projet laissaient volontairement une grande marge de manoeuvre aux professionnels de la santé pour déterminer l'admissibilité des patients, et que les débats qui se dérouleront au Parlement d'ici la date butoir du 6 juin fourniront sans doute des suggestions pour des amendements potentiels à C-14.

Elle a enfin précisé que cette notion d'un événement « raisonnablement prévisible » est commune en droit, en particulier en droit criminel. L'analyse de son ministère a fait écho à cette position : « La loi du Québec exige que le patient soit "en fin de vie", alors que le texte législatif en matière criminelle prévoit que "la mort [...] est devenue raisonnablement prévisible", ce qui est un concept légal plus commun, et peut-être un critère plus flexible en ce qu'il ne requiert pas de pronostic précis quant à l'espérance de vie de la personne ».