Alors que des soldats canadiens ont été visés lundi par un troisième attentat en public en 18 mois, les Forces armées canadiennes (FAC) craignent qu'un «sympathisant de groupes terroristes» réussisse à infiltrer une base militaire en usurpant l'identité d'un soldat. Ce terroriste mettrait alors en péril la «protection des forces», a prévenu l'été dernier la police militaire de l'armée dans un document obtenu par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Le cas du Québécois Franck Gervais, en novembre 2014, a eu l'effet d'un coup de semonce pour l'armée canadienne. Vêtu d'un béret rouge et d'un uniforme militaire, Franck Gervais avait assisté avec sa femme aux cérémonies du jour du Souvenir au Monument commémoratif de guerre à Ottawa. Affichant de nombreuses médailles militaires, le «sergent Gervais» avait rendu hommage aux vétérans lors d'une entrevue à CBC. Or le Québécois était un imposteur. Il a d'ailleurs été condamné à 50 heures de travaux communautaires et à 12 mois de probation pour ces crimes l'an dernier.

Avertissement

«N'eût été l'examen attentif par plusieurs vétérans et soldats qui avaient remarqué les anomalies dans sa tenue et sa conduite, Franck Gervais aurait pu passer inaperçu. Une telle tenue ainsi qu'une carte d'identité frauduleuse pourraient permettre à une personne de convaincre les autres qu'elle est membre en règle des FAC», note-t-on dans le document interne «Bulletin de renseignement criminel», daté du 6 juillet 2015.

Crainte de terrorisme

La Section du renseignement criminel de la police militaire met en garde les membres des FAC des graves conséquences qu'une telle usurpation pourrait engendrer, «surtout dans le cas d'un acteur solitaire qui aurait des affiliations avec des terroristes ou qui serait un sympathisant de groupes terroristes». Dans un bulletin interne du 25 mai 2015, intitulé «Extrémistes criminels - ce qu'il faut surveiller et signaler», la police militaire rappelle en préambule que des «organisations terroristes étrangères», comme le groupe État islamique, ont «demandé à leurs partisans de cibler et d'attaquer activement les membres et les établissements des organismes militaires et d'application de la loi de divers pays, dont le Canada».

Détection des indicateurs

La police militaire prévient les membres des FAC d'être à l'affût de tout comportement anormal sur leur base militaire. «Les attentats ne sont jamais aléatoires. [...] Il est possible de détecter les indicateurs précédant un attentat quelques heures, quelques jours, quelques mois ou même quelques années avant l'attentat», indique-t-on dans le document. Les soldats et le personnel militaire sont même encouragés à interpeller toute personne qui n'est pas censée être à un lieu donné. «Vérifiez sa carte d'identité et son laissez-passer et posez-lui poliment des questions simples, comme "Comment vous appelez-vous?", "Puis-je vous aider?", "Quel est l'objet de votre visite?"», peut-on lire dans le bulletin interne.

Obligation de signaler les intrus

Ne pas signaler à la police militaire qu'un intrus se trouve dans une zone à accès restreint pourrait même aider indirectement les terroristes, prévient la police militaire. «Un incident de sécurité [...] doit être signalé. Si vous manquez de le faire, les extrémistes pourront considérer cela comme des lacunes en matière de sécurité et déceler ainsi des vulnérabilités.» L'armée canadienne n'avait pas répondu à nos questions hier, malgré quatre jours d'avis.

2500 cartes perdues ou volées

Plus de 2500 cartes d'identité militaires ont été perdues ou volées entre le 1er janvier 2014 et le 4 juin 2015, souligne la police militaire de l'armée dans un bulletin. Les conséquences sur la sécurité des bases militaires causées par ces nombreuses pertes ne sont pas abordées dans le rapport. La sécurité des cartes militaires a toutefois été renforcée l'an dernier. «[Les FAC] ont pris des mesures pour rendre ces cartes plus difficiles à reproduire en y ajoutant des caractéristiques de sécurité supplémentaires», indique le document. La police militaire affirme avoir dépensé 65 000 $ pour le remplacement des cartes volées ou perdues.

- Avec William Leclerc, La Presse