Le fait qu'une vingtaine de Canadiens qui étaient rentrés au pays après avoir probablement combattu aux côtés du groupe armé État islamique (EI) aient réussi à quitter de nouveau le Canada n'est pas un motif valable pour abaisser le fardeau de la preuve dans ces cas.

C'est ce qu'a soutenu mardi le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Bob Paulson, à l'issue de son témoignage devant le comité permanent de la sécurité publique et nationale.

Il a expliqué que recueillir des preuves contre des individus soupçonnés de s'être radicalisés représentait un «défi», mais que cela ne devrait pas justifier un abaissement du niveau de preuve qui est jugé suffisant pour déposer des accusations.

«Moi, personnellement, je ne veux pas baisser les niveaux, je veux que le système de justice fonctionne comme il devrait», a affirmé le commissaire Paulson en mêlée de presse au parlement à l'issue de sa comparution au comité.

«On ne peut pas arriver en cour et dire: on sait tous que c'est un terroriste, prends-moi au mot. Ça prend des preuves», a-t-il illustré.

Le grand patron de la police fédérale a ajouté que les quelque 20 individus avaient fait l'objet d'une évaluation à leur retour au Canada «pour voir s'ils étaient vraiment une menace ou s'ils étaient capables de bénéficier d'un autre type d'intervention».

«Alors vous ne devriez pas avoir peur. C'est géré», a tranché M. Paulson.

S'il a reconnu que cette situation était pour lui «une source d'inquiétude», le ministre fédéral de la Sécurité publique, Ralph Goodale, n'a pas voulu se prononcer sur la question de la pertinence de diminuer le fardeau de la preuve.

Les organes sécuritaires comme la GRC et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) doivent cependant être conscients «que les Canadiens s'attendent à ce que si des crimes sont commis, des accusations soient portées et des procès suivront», a-t-il insisté.

Le ministre Goodale a par ailleurs dit vouloir faire en sorte que les agents de la GRC disposent des ressources nécessaires pour s'acquitter de leurs responsabilités en matière de lutte au terrorisme.

Il a toutefois refusé de préciser si le budget du 22 mars prochain pourrait contenir un financement à long terme pour s'attaquer à ce problème.

«Mais comme je l'ai dit fréquemment dans le passé, on ne peut pas leur demander de faire un travail colossal et ne pas leur offrir les moyens financiers afin d'y parvenir», a indiqué M. Goodale en mêlée de presse.

C-51

En même temps qu'il révélait que l'on avait perdu la trace de cette vingtaine de djihadistes canadiens présumés, lundi, le directeur du SCRS, Michel Coulombe, dévoilait que l'agence d'espionnage avait utilisé environ 20 fois les pouvoirs conférés par la loi antiterroriste C-51.

Le SCRS est intervenu de façon minimale pour perturber de possibles actions terroristes, a-t-il assuré en comité, mardi matin.

Des agents ont, par exemple, «demandé à des membres de la famille, des amis ou des membres de la communauté d'intervenir si un individu semble être en voie de se radicaliser», a-t-il illustré.

Et jamais il n'a été nécessaire de faire appel à un juge de la Cour fédérale pour obtenir un mandat - ce que le SCRS est tenu de faire par la loi s'il compte poser des gestes illégaux -, a spécifié M. Coulombe.

Le ministre Goodale s'est dit assuré que l'agence a agi dans les règles de l'art.

«Le SCRS comprend que je m'attends à deux choses: je m'attends à ce qu'ils respectent la loi, et je m'attends à ce qu'ils respectent pleinement la Charte canadienne des droits et libertés», a-t-il souligné.

Dans la lettre de mandat qu'il a adressée à M. Goodale, le premier ministre Justin Trudeau lui a confié la mission de «travailler à la révocation des éléments problématiques du projet de loi C-51 et adopter de nouvelles mesures législatives renforçant la reddition de compte en matière de sécurité nationale».